Les recommandations sur la pression artérielle (PA?) jouent un rôle essentiel en fournissant les meilleures pratiques pour le diagnostic et la prise en charge de l’hypertension. Face aux différences culturelles et sociétales dans les facteurs de risque? et les approches thérapeutiques de l’hypertension à travers les régions géographiques, la nécessité de lignes directrices adaptées à chaque contexte est primordiale. En 2018, la Société Européenne de Cardiologie (ESC?) et la Société Européenne d’Hypertension (ESH?) ont publié une directive conjointe pour la prise en charge de l’hypertension, marquant ainsi une collaboration unifiée entre les sociétés européennes spécialisées dans ce domaine.
Les recommandations de 2018 soulignaient les multiples risques liés à une gestion inadéquate de la PA et insistaient sur l’importance d’améliorer le contrôle de la pression artérielle. Les seuils diagnostiques et thérapeutiques étaient stratifiés en fonction de l’âge et des facteurs de risque. Par exemple, chez les individus âgés de 18 à 79 ans, le traitement antihypertenseur devait être initié à une pression systolique > 140 mmHg ou une pression diastolique > 90 mmHg, tandis que chez les sujets âgés de 80 ans ou plus, le traitement pouvait être envisagé à partir d’une PA systolique de >160 mmHg. Chez les patients ayant une maladie cardiovasculaire établie, la recommandation suggérait de débuter le traitement dès une PA > 130/85 mmHg. Les objectifs de traitement visaient une PA < 140/90 mmHg pour tous les patients, avec une cible additionnelle de 120-129 mmHg pour la PA systolique chez les personnes de moins de 65 ans et une PA diastolique < 80 mmHg pour la majorité des patients.
En parallèle, les recommandations américaines de 2017 (American College of Cardiology/American Heart Association) avaient adopté des seuils diagnostiques plus stricts, préconisant un traitement à partir de > 140/90 mmHg chez les sujets à faible risque et ?130/80 mmHg chez ceux présentant un risque élevé (> 10 % de risque cardiovasculaire à 10 ans), avec pour objectif une PA < 130/80 mmHg pour tous les patients hypertendus. Ainsi, les directives ESC/ESH de 2018 étaient davantage axées sur une individualisation des objectifs thérapeutiques.
En 2023, l’ESH a rompu avec l’ESC et a publié ses propres recommandations, approuvées par l’International Society of Hypertension et l’European Renal Association. Les nouveautés incluaient un renforcement de l’usage de la surveillance ambulatoire de la PA pour le diagnostic et la gestion à long terme de l’hypertension. La mesure en clinique devait se faire par un appareil automatisé, avec la moyenne de trois mesures consécutives. Les seuils pour initier un traitement antihypertenseur restaient similaires à ceux de 2018. En revanche, les objectifs thérapeutiques étaient légèrement révisés : 120-129/80 mmHg pour les 18-64 ans, < 140/80 mmHg pour les 65-79 ans (avec une PA systolique de 120-129 mmHg envisagée si bien tolérée), et 140-150 mmHg pour les plus de 80 ans.
L’ESH 2023 insistait également sur l’initiation du traitement avec deux antihypertenseurs, de préférence sous forme de combinaison en une seule pilule, ainsi que sur l’ajout de nouvelles classes thérapeutiques comme les inhibiteurs du SGLT2 et la finérénone chez les patients atteints de maladie rénale chronique. La dénervation rénale chez les patients présentant une hypertension résistante non contrôlée était également recommandée, de même que la supplémentation en potassium pour les patients ayant un apport insuffisant. Enfin, une inclusion controversée des béta-bloqueurs comme traitement de première ligne dans certains contextes, au-delà des indications traditionnelles (infarctus du myocarde et insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite), était proposée, sur la base de leur efficacité globale à réduire la PA et les événements cardiovasculaires.
Le 30 août 2024, l’ESC a publié ses nouvelles recommandations, avec des modifications notables par rapport à celles de l’ESH 2023. L’ESC 2024 a également renforcé l’utilisation de la surveillance ambulatoire de la PA et préconisé la supplémentation en potassium, ainsi que l’utilisation de thérapies combinées dès le départ du traitement antihypertenseur. De plus, la dénervation rénale est recommandée comme alternative dans les centres spécialisés, notamment en cas d’hypertension résistante.
Cependant, plusieurs différences significatives émergent. Contrairement à l’ESH 2023, l’ESC 2024 ne recommande pas les béta-bloqueurs en première ligne, les plaçant plutôt en troisième ligne après l’antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes, sauf en cas d’indication spécifique (infarctus du myocarde ou insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite). Cette décision est fondée sur des preuves montrant que les béta-bloqueurs sont moins efficaces que les autres classes d’antihypertenseurs dans la prévention des AVC et sont plus fréquemment abandonnés en raison de leurs effets secondaires.
Les nouvelles cibles thérapeutiques de l’ESC 2024 préconisent d’initier le traitement antihypertenseur dès une PA > 130/80 mmHg chez les patients à haut risque cardiovasculaire (risque > 10 % à 10 ans) ou présentant des comorbidités comme le diabète. L’objectif de traitement pour la plupart des patients est une PA systolique entre 120 et 129 mmHg.
Figure 1 : Objectifs de pression artérielle chez différents groupes d’âge et de risque.
L’ESC 2024 introduit plusieurs recommandations pragmatiques. D’abord, pour la première fois, il est recommandé de dépister systématiquement l’aldostéronisme primaire chez tous les adultes hypertendus, étant donné la forte prévalence de cette pathologie souvent sous-diagnostiquée. Lors de l’évaluation des patients présentant une hypertension résistante apparente, l’ESC suggère de vérifier l’adhérence au traitement de manière objective, par l’observation directe ou par la détection de médicaments dans le sang ou les urines, particulièrement dans les centres dotés de ressources adéquates.
Sur le plan des modifications du mode de vie, l’ESC préconise désormais une restriction de la consommation de sucres, en particulier des boissons sucrées. Cette recommandation repose sur des études montrant qu’une consommation élevée de boissons sucrées est associée à une élévation de 2 mmHg de la PA systolique et à une augmentation de 36 % du risque d’hypertension chez les enfants et adolescents. En ce qui concerne l’alcool, l’ESC 2024 recommande dorénavant une abstinence complète pour optimiser les résultats de santé, une approche beaucoup plus radicale que celle des recommandations antérieures qui se contentaient de fixer des limites hebdomadaires d’alcool acceptable.
Enfin, dans une approche plus centrée sur le patient, l’ESC 2024 suggère de prendre les médicaments antihypertenseurs à l’heure la plus pratique pour le patient, en rejetant les recommandations antérieures de prendre les médicaments spécifiquement le matin ou le soir, suite aux résultats des essais TIME et BedMed. Pour les patients fragiles, une réduction progressive des traitements antihypertenseurs est recommandée en cas de baisse significative de la PA, liée à l’aggravation de la fragilité ou aux médicaments hypotenseurs.
Alors que l’ESH et l’ESC ont publié deux ensembles de recommandations distincts en 2023 et 2024 respectivement, la coexistence de ces deux lignes directrices soulève la question de leur nécessité et de leur impact potentiel sur la pratique clinique. Il existe un consensus général selon lequel un ensemble unique de recommandations faciliterait la prise en charge par les médecins généralistes (qui représentent environ 500 000 praticiens en Europe), en simplifiant les directives et en réduisant les risques de confusion. Les recommandations ESH et ESC reposent sur les mêmes preuves scientifiques de base et présentent de nombreuses similitudes : elles partagent le même seuil diagnostique pour l’hypertension (> 140/90 mmHg), insistent sur l’importance de la surveillance hors clinique de la PA, et recommandent la thérapie combinée en première ligne. Toutefois, certaines divergences subsistent, notamment concernant l’utilisation des béta-bloqueurs et les cibles thérapeutiques chez les patients à haut risque.
En conclusion, bien que l’ESC 2024 et l’ESH 2023 aient chacune leurs spécificités, elles convergent sur de nombreux points clés. L’ESC 2024 se distingue par une approche plus centrée sur le patient, en intégrant des facteurs tels que le dépistage de l’hyperaldostéronisme primaire, une évaluation objective de l’adhérence au traitement et des recommandations renforcées pour des modifications précises du mode de vie. Le défi majeur reste l’implémentation pragmatique et la simplification de ces recommandations pour qu’elles soient adoptées par les cliniciens dans leur pratique quotidienne, en particulier les généralistes. Une harmonisation future de ces recommandations permettrait probablement d’améliorer la gestion globale de l’hypertension à travers l’Europe.
Résumé des mises à jour clés dans les recommandations ESC 2024 :
Dépistage systématique de l’aldostéronisme primaire chez tous les adultes hypertendus.
Objectif thérapeutique de 120-129 mmHg pour la majorité des patients.
Prise en compte de la consommation de sucres et recommandation d’abstinence d’alcool.
Utilisation pragmatique des horaires de prise de médicaments adaptée aux préférences du patient.
Évaluation objective de l’adhérence thérapeutique dans l’hypertension résistante.
Mancia G, Kreutz R, Brunström M, Burnier M, Grassi G, Januszewicz A, Muiesan ML, Tsioufis K, Agabiti-Rosei E, Algharably EAE, Azizi M, Benetos A, Borghi C, Hitij JB, Cifkova R, Coca A, Cornelissen V, Cruickshank JK, Cunha PG, Danser AHJ, Pinho RM, Delles C, Dominiczak AF, Dorobantu M, Doumas M, Fernández-Alfonso MS, Halimi JM, Járai Z, Jelakovi ? B, Jordan J, Kuznetsova T, Laurent S, Lovic D, Lurbe E, Mahfoud F, Manolis A, Miglinas M, Narkiewicz K, Niiranen T, Palatini P, Parati G, Pathak A, Persu A, Polonia J, Redon J, Sarafidis P, Schmieder R, Spronck B, Stabouli S, Stergiou G, Taddei S, Thomopoulos C, Tomaszewski M, Van de Borne P, Wanner C, Weber T, Williams B, Zhang ZY, Kjeldsen SE. 2023 ESH? Guidelines for the management of arterial hypertension The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension : Endorsed by the International Society of Hypertension (ISH?) and the European Renal Association (ERA). J Hypertens. 2023 Dec 1 ;41(12):1874-2071. doi : 10.1097/HJH.0000000000003480. Epub 2023 Sep 26. doi : 10.1097/HJH.0000000000003621. PMID : 37345492.
Whelton PK, Flack JM, Jennings G, Schutte A, Wang J, Touyz RM. Editors’ Commentary on the 2023 ESH Management of Arterial Hypertension Guidelines. Hypertension. 2023 Sep ;80(9):1795-1799. doi : 10.1161/HYPERTENSIONAHA.123.21592. Epub 2023 Jun 24. PMID : 37354199 ; PMCID : PMC10527435.
McEvoy JW, McCarthy CP, Bruno RM, Brouwers S, Canavan MD, Ceconi C, Christodorescu RM, Daskalopoulou SS, Ferro CJ, Gerdts E, Hanssen H, Harris J, Lauder L, McManus RJ, Molloy GJ, Rahimi K, Regitz-Zagrosek V, Rossi GP, Sandset EC, Scheenaerts B, Staessen JA, Uchmanowicz I, Volterrani M, Touyz RM ; ESC? Scientific Document Group. 2024 ESC Guidelines for the management of elevated blood pressure and hypertension. Eur Heart J. 2024 Aug 30:ehae178. doi : 10.1093/eurheartj/ehae178. Epub ahead of print. PMID : 39210715.
Schutte AE, Jennings GLR. To Harmonize or to Hinder... Do We Need Two Sets of European Guidelines in 2024 ? Hypertension. 2024 Sep 16. doi : 10.1161/HYPERTENSIONAHA.124.23722. Epub ahead of print. PMID : 39284004.
Cohen JB. What is New in the ESC Hypertension Guideline ? Hypertension. 2024 Sep 16. doi : 10.1161/HYPERTENSIONAHA.124.23724. Epub ahead of print. PMID : 39284002.