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zone restreinte 01b - Controverse : l’hypercortisolisme, une cause cachée d’hypertension résistante ?

Mise à jour : 7 novembre 2024 - Mise en ligne : 8 juin 2025, par Thierry HANNEDOUCHE
 
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L’hypertension artérielle résistante demeure un défi clinique majeur, avec un sous-groupe de patients particulièrement difficile à contrôler malgré une polythérapie optimisée. Une question émerge de plus en plus dans la littérature : le syndrome de Cushing et l’hypercortisolisme pourraient-ils être des causes sous-jacentes sous-estimées de cette forme sévère d’hypertension ? Cette discussion vise à explorer la physiopathologie du syndrome de Cushing, son impact sur l’hypertension résistante et les implications cliniques de cette relation.

1. Physiopathologie du syndrome de Cushing et de l’hypercortisolisme

Le syndrome de Cushing est défini par une production excessive de cortisol, qu’elle soit dépendante de l’ACTH (adénome hypophysaire sécrétant ou sécrétion ectopique) ou indépendante de l’ACTH (sécrétion autonome par une tumeur surrénalienne). Cette hypercortisolémie entraîne une multitude de conséquences métaboliques et cardiovasculaires, notamment une hypertension sévère et souvent résistante aux traitements conventionnels [Townsend 2023].

Le mécanisme physiopathologique impliqué est complexe et intègre plusieurs voies :

  • Activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) : le cortisol potentialise l’effet de l’angiotensine II et favorise la rétention sodée.

  • Dysrégulation du rythme circadien tensionnel : les patients atteints de Cushing perdent le dip nocturne tensionnel, un élément crucial pour la régulation de la pression artérielle [Otsuki 2016].

  • Excès d’activité sympathique : les patients en hypercortisolisme montrent une hyperréactivité aux catécholamines, exacerbant la vasoconstriction et la rigidité artérielle [Heaney 2015].

  • Altération de la fonction endothéliale : l’excès de cortisol favorise l’élévation de l’endothéline et réduit la biodisponibilité du NO, altérant ainsi la vasodilatation [Brown 2022].

Ces mécanismes expliquent pourquoi l’hypertension associée au syndrome de Cushing est non seulement fréquente mais aussi difficile à contrôler avec les approches thérapeutiques conventionnelles.

2.Données cliniques et implications en pratique

Prévalence de l’hypercortisolisme dans l’hypertension résistante

L’hypertension résistante est définie par une pression artérielle non contrôlée malgré l’utilisation d’au moins trois antihypertenseurs, incluant un diurétique. Aux États-Unis, sa prévalence est estimée à 9-13% des patients hypertendus [Carey 2018]. Parmi ces patients, l’hypercortisolisme pourrait être un facteur contributif majeur.

Une étude récente, l’essai CATALYST, a montré que 25 à 40% des patients atteints de diabète de type 2 mal contrôlé et d’hypertension résistante présentent une hypersécrétion de cortisol autonome, détectée par un test de suppression à la dexaméthasone [Fonseca 2024]. Ces résultats suggèrent que l’hypercortisolisme subclinique pourrait être largement sous-diagnostiqué dans la population hypertensive.

Corrélation entre hypercortisolisme et événements cardiovasculaires

L’impact de l’excès de cortisol ne se limite pas à l’hypertension. Une relation dose-dépendante a été démontrée entre les niveaux élevés de cortisol et le risque de maladies cardiovasculaires. Parmi les hormones de stress (adrénaline, noradrénaline, dopamine), le cortisol est le plus fortement corrélé aux événements cardiovasculaires [7 Walker 2020].

Une méta-analyse a mis en évidence que les patients hypertendus présentant un excès de cortisol ont :

  • Un risque accru de 50% de développer un infarctus du myocarde, une insuffisance cardiaque ou un AVC en comparaison aux hypertendus sans hypercortisolisme [Nishimoto 2019].

  • Un taux plus élevé de néphropathie et de rétinopathie diabétique, indépendamment de la pression artérielle [Aresta 2022].

Figure 1 : Plus forte probabilité d’hypercortisolisme chez les patients avec une hypertension résistante ou traitée par > 3 antihypertenseurs. Etude CATALYST, présentation ADA 2024.

Figure 2 : Plus forte prévalence de comorbidités cardiovasculaires chez les patients avec un hypercortisolisme. Etude CATALYST, présentation ADA 2024.

Hyperaldostéronisme apparent et rôle des récepteurs minéralocorticoïdes

L’une des conséquences de l’excès de cortisol est son interaction avec le récepteur des minéralocorticoïdes, conduisant à un hyperaldostéronisme apparent. Cela se manifeste par une rétention sodée accrue, une hypokaliémie fréquente et une hypertension sévère, mimant un hyperaldostéronisme primaire [Brown 2022].

Dans une cohorte de patients hypertendus, plus de 30% des cas présentant une hypertension résistante avaient un cortisol matinal non supprimé après un test à la dexaméthasone. Cette donnée suggère que le dosage du cortisol matinal pourrait être intégré dans l’évaluation systématique de l’hypertension résistante [Young 2023].

3.Stratégies diagnostiques et thérapeutiques

Quand dépister l’hypercortisolisme chez un patient hypertendu ?

Le dépistage de l’hypercortisolisme est recommandé dans les cas suivants :

  • Hypertension résistante malgré une polythérapie

  • Présence concomitante de diabète de type 2 difficile à contrôler

  • Hypokaliémie inexpliquée

  • Ostéoporose précoce ou fractures atraumatiques

  • Antécédents familiaux d’adénome surrénalien ou de pathologies endocriniennes multiples [Nieman 2020]

Tests de dépistage recommandés

Le test de suppression à la dexaméthasone (DST) est actuellement l’outil de choix. Il repose sur :

  1. Administration de 1 mg de dexaméthasone à 23h

  2. Dosage du cortisol plasmatique à 8h

  3. Cortisol >1,8 µg/dL (50 nmol/L) = suspicion d’hypercortisolisme autonome [Newell-Price 2021]

Dans certains cas, des tests supplémentaires tels que la cortisolurie des 24h et le dosage nocturne du cortisol salivaire peuvent être indiqués.

Prise en charge thérapeutique : La prise en charge repose sur : Traitement étiologique : chirurgie surrénalienne si un adénome sécrétant est identifié. Traitement médical :

  • Inhibiteurs enzymatiques du cortisol : kétoconazole (limité par sa toxicité hépatique), osilodrostat.

  • Antagonistes des minéralocorticoïdes : spironolactone ou éplérénone, en cas d’hyperaldostéronisme apparent.

  • Approches antihypertensives ciblées : bloqueurs des canaux calcium, inhibiteurs du SRAA.

Impact de la chirurgie sur la pression artérielle : L’adrénalectomie permet une normalisation de la pression artérielle chez la majorité des patients atteints d’hypercortisolisme autonome, contrairement au traitement médical seul, qui reste moins efficace [Reincke 2019].

Conclusion

L’hypercortisolisme constitue une cause sous-estimée d’hypertension résistante, particulièrement chez les patients atteints de diabète de type 2 difficile à contrôler. Le dépistage systématique du cortisol chez ces patients pourrait améliorer leur prise en charge et réduire le risque cardiovasculaire. Bien que les traitements médicamenteux restent limités, la reconnaissance précoce de cette condition pourrait permettre une meilleure sélection des stratégies thérapeutiques.

 
 

Références

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