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Mise à jour : 23 janvier 2023 - Mise en ligne : 11 juin 2025, par Thierry HANNEDOUCHE
 
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De nombreux médicaments peuvent interférer avec la régulation de la pression artérielle ou l’effet antihypertenseur de certaines classes. Schématiquement, ces médicaments interfèrent soit avec les systèmes vasoconstricteurs, notamment sympatique, soit avec l’excrétion rénale de sodium. La responsabilité de ces médicaments, parfois pris de façon occulte, doit toujours être suspectée et évaluée devant une HTA? en apparence "résistante".

1. Anti-inflammatoires non stéroïdiens et COXIBs

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) représentent la cause la plus fréquente d’augmentation indésirable de la pression artérielle. Dans les métanalyses?, les AINS augmentent la PA? en moyenne de 3 à 5 mmHg chez les individus préalablement hypertendus et traités. L’effet prohypertenseur semble plus marqué chez les patients ayant une forme d’HTA? sensible au sel ou qui ont un apport sodé alimentaire très important. Les AINS interfèrent avec les médicaments antihypertenseurs, en particulier les diurétiques de l’anse, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les béta-bloqueurs. L’effet prohypertenseur des AINS est par contre absent chez les patients traités par bloqueurs des canaux calcium et peut être les ARA2?. Il s’agit d’un effet de classe, partagé entre tous les AINS. L’effet est moins prononcé avec le sulindac (Arthrocine®) et les faibles doses d’aspirine qui semblent épargner relativement la synthèse rénale de prostaglandines.

Le mécanisme de cet effet prohypertenseur reste mal connu. Les AINS inhibent la synthèse des prostaglandines vasodilatatrices et natriurétiques (PGI2 ou prostacycline, PGE2, PGD2). L’effet prohypertenseur des AINS est classiquement attribué à la diminution de l’excrétion rénale de sodium et à une rétention sodée. Cependant, peu de patients qui décompensent leur hypertension sous AINS, développent réellement des oedèmes ou une prise de poids. L’interférence des AINS avec les systèmes vasodilatateurs rénaux et systémiques, semble donc plus souvent en cause.

L’effet prohypertenseur des AINS est partagé avec les COXIBs (inhibiteurs sélectifs de la cyclooxygénase de type 2). Ces produits exercent strictement les mêmes effets vasoconstricteurs rénaux et antinatriurétiques que les AINS conventionnels. L’effet prohypertenseur des COXIBs est moins bien établi. Dans l’étude VIGOR, le rofecoxib (Vioxx®) à une dose relativement forte de 50 mg/j augmente la PA systolique et diastolique de 4,6 et 1,7 mmHg respectivement, à 2 ans de suivi. L’incidence? d’événements coronariens est également significativement augmentée. Ceci est interprété comme un déséquilibre de l’effet inhibiteur COX2 sélectif favorisant l’expression du thromboxane prothrombosant, aux dépends de la prostaclycline antiagrégante au niveau des parois vasculaires.

Figure 1 : Effet antinatriurétique d’un AINS (indométhacine 150 mg/j), d’un COXIB (rofecoxib 50 mg/j) vs? placebo : 3 groupes parallèles pendant 2 semaines, chez 36 sujets sains âgés en restriction sodée. L’effet antinatriurétique persiste sous rofecoxib pendant les 2 semaines alors que cet effet se corrige progressivement sous indométhacine. La rétention sodée ne s’accompagne pas d’oedème ou d’une prise de poids significative dans cette étude.

Chez les individus normotendus sans traitement, les AINS ne semblent pas augmenter significativement la PA. Cependant dans la Nurse Heatlth Study 2 (80 000 infirmières de 31-50 ans suivies pendant 2 ans), le risque? relatif de développer une HTA est multiplié par 1,86 chez les femmes prenant régulièrement des AINS. Cependant, cette étude rétrospective présente de nombreux biais (déclaration des médicaments et des valeurs tensionnelles, possibles facteurs confondants).

2. Paracétamol

Le paracétamol (acétaminophène dans certains pays) est pour l’OMS? un antalgique de 1er niveau pour le traitement de la douleur cancéreuse. C’est aujourd’hui l’analgésique le plus utilisé dans le monde malgré quelques essais initiaux (Saragiotto et al, Cochrane Database of Systematic Reviews 2016) qui ont montré un bénéfice limité dans le traitement de la douleur aiguë ou chronique. Malgré la preuve de son efficacité limitée, ce médicament est perçu comme sûr pour le traitement de la douleur. Cependant, des études de cohorte, des données d’observation et quelques petits ECR aux résultats contradictoires (Dedier 2002, Curhan 2002, Dawson 2013) avaient alerté sur un possible effet prohypertenseur.

L’essai Paracetamol Treatment in Hypertension-Blood Pressure (PATH-BP) est une étude croisée randomisée, en double aveugle, contrôlée par placebo, réalisée chez 110 patients dans un seul centre au Royaume-Uni. Cette étude a analysé l’effet d’un traitement par paracétamol sur la PA chez des personnes hypertendues pendant deux semaines. Il a été observé une augmentation statistiquement significative de 4,6 mmHg de la PA systolique avec le paracétamol par rapport au placebo et une augmentation de 1,6 mmHg de la PA diastolique. Ce changement était apparent dès le quatrième jour et avait atteint son maximum vers le septième jour.
Cette étude de courte durée ne permet pas de savoir si l’effet tensionnel du paracétamol persiste sur le long terme. Le mécanisme de l’élévation de la PA sous paracétamol reste hypothétique et pourrait être similaire à celui des AINS classiques. Le paracétamol inhibe également l’enzyme cyclooxygénase (COX)-2, mais cet effet semble limité au système nerveux central et pas observé ailleurs.

Une autre hypothèse, plus convaincante mais non exclusive, fait intervenir le sodium présent en grande quantité dans l’excipient de certaines formulations de paracétamol, notamment effervescent et dispersible. En France, le paracétamol contient environ 400 mg de sodium par gramme de ces formulation (40% !) ce qui peut apporter jusqu’à 1600 mg de Na pour un traitement à la dose maximale recommandée.

L’effet tensionnel de cette charge "médicamenteuse" en Na a été montré dans une étude observationnelle innovante. À partir d’une base de données de dossiers médicaux électroniques de 17 millions de patients soignés par des médecins généralistes au Royaume-Uni, Zeng et coll. ont étudié les effets de la supplémentation en sodium associé au paracétamol [Zeng 2022]. Ils ont comparé les risques de maladies cardiovasculaires et de décès toutes causes chez les personnes ayant commencé à prendre du paracétamol contenant du sodium vs les risques chez les personnes ayant commencé à prendre les mêmes formulations de paracétamol mais sans sodium. L’étude comprenait des hypertendus (n = 151 398) et des normotendus (n = 147 299), ce qui est important car les effets du sodium sur la PA sont plus marqués chez les sujets hypertendus. Le rapport de risque (RR?) était de 1,59 (IC à 95 % : 1,32-1,92) chez les personnes hypertendues et de 1,45 (IC à 95 % : 1,18-1,79) chez les personnes normotendues. Il a également été observé une augmentation des risques d’infarctus du myocarde, d’AVC? et d’insuffisance cardiaque, tant chez les personnes hypertendues que chez les personnes normotendues. Les doses importantes de paracétamol-sodium étudiées dans ces analyses ont permis de tester de manière robuste les effets sur la PA et les événements cardiovasculaires. Une relation dose-réponse a également été observée, un plus grand nombre d’ordonnances de paracétamol contenant du sodium étant associé à des risques proportionnellement plus élevés de maladies cardiovasculaires (P = 0,034) et de mortalité (P<0,001), tant chez les personnes hypertendues que chez les autres. L’association claire du paracétamol contenant du sodium avec l’hypertension incidente (HR? 1,37, IC 95 % 1,22-1,54), représente probablement le mécanisme causal des événements cardiovasculaires et de la surmortalité. Il s’agissait d’une étude observationnelle, et donc des facteurs de confusion ne peuvent être exclus. De plus, la période de suivi de l’étude était courte, d’un an seulement. Cependant, les effets du sodium sur la PA et sur le risque cardiovasculaire sont rapides et se manifestent pleinement en quelques semaines ou quelques mois.

Figure 2 : Evénements cardiovasculaires et mortalité dans les deux groupes de patients hypertendus consommant du paracétamol avec (bleu) ou sans sodium (rouge). Des constatations analogues ont été faites chez chez les sujets normotendus mais avec des valeurs de base plus faibles.

Quoi qu’il en soit, le message direct de cette étude est clair : il y a probablement des millions de personnes dans le monde qui prennent quotidiennement du paracétamol sous forme effervescente ou soluble à action rapide et qui augmentent sans le savoir leur risque de maladie/décès cardiovasculaire. Rien qu’en France, environ 10 000 tonnes de paracétamol sont vendues chaque année [Perrin 2018]. Une étude réalisée en 2018 en France a révélé que 27 % d’un échantillon de population générale ayant subi un examen médical avaient consommé des comprimés " effervescents " au cours des 30 derniers jours. Neuf de ces cas sur 10 étaient des cas d’automédication, le paracétamol, l’aspirine, les vitamines et la bétaïne représentant 95 % des comprimés utilisés.

Cette étude permet également de tirer une conclusion indirecte importante concernant les preuves des effets néfastes liés au sodium. La supplémentation à grande échelle en sodium alimentaire dans le cadre d’un essai randomisé étudiant le risque cardiovasculaire n’a jamais été réalisée et serait presque certainement considérée comme contraire à l’éthique. Ce type d’analyse est ce qui se rapproche le plus d’un tel essai et fournit des preuves solides des effets nocifs de l’ajout de grandes quantités de sodium à l’alimentation. La quantité de sodium présente dans les comprimés, en particulier les formulations effervescentes, doit être prise en compte par les cliniciens et si possible limitée chez les patients à risque comme les hypertendus, les insuffisants cardiaques ou rénaux Voir aussi.

3. Hypertension et glucocorticoïdes exogènes

L’hypertension est une complication relativement rare chez les patients prenant des glucocorticoïdes exogènes car ces dérivés stéroïdiens ont généralement une activité minéralocorticoïde inférieure à celle du cortisol. Cependant, des augmentations significatives de pression artérielle peuvent survenir en quelques jours, avec l’administration de cortisol à fortes doses.

Figure 3 : Facies cushingoïde chez une patiente transplantée rénale dans les années 90, recevant des glucocorticoïdes depuis de nombreuses années.

Figure 4 : Vergetures pourpres abdominales caractéristiques d’un syndrome de Cushing

Mécanismes de l’hypertension induite par les glucocorticoïdes (01 - Les pseudo-hyperaldostéronismes)

De nombreux mécanismes ont été proposés pour rendre compte de l’hypertension si fréquente au cours de la maladie de Cushing. Ainsi de hautes concentrations de cortisol exercent un effet de rétention hydrosodée, par la liaison aux récepteurs des minéralocorticoïdes (MR?) ou par des mécanismes non récepteurs dépendants. L’administration conjointe d’un antagoniste des minéralocorticoïdes (spironolactone) en même temps que le cortisol, supprime tous les effets liés aux minéralocorticoïdes (prise de poids, hypokaliémie) mais la pression artérielle reste élevée, suggérant que les effets minéralocorticoïdes ne sont pas directement responsables de l’hypertension induite par le cortisol.

Dans certains cas, des stéroïdes sous la dépendance de l’ACTH et ayant une activité minéralocorticoïde (corticostérone, désoxycorticostérone), peuvent être secrétés conjointement aux glucocorticoïdes. Une augmentation de la réactivité vasculaire à différents agents presseurs a été également mise en évidence, probablement liée à des effets sur des récepteurs vasculaires. En cas de syndrome de Cushing par sécrétion ectopique d’ACTH, l’excès de cortisol dépasse les capacités cataboliques de la 11 hydroxy-stéroïd-deshydrogenase (11-HSD2) (isoforme rénale) et stimule directement le MR.

4. Substances mimant l’effet minéralocorticoïde

Les substances contenant de l’acide glycérhétinique (réglisse, antésite, zan, pastis sans alcool) sont aussi responsables d’un syndrome HTA-hypokaliémie parfois sévère. Ces substances bloquent l’activité de la 11-béta-hydroxy-stéroïde déshydrogénase de type 2 (11 béta-HSD2) une enzyme qui, dans le rein, inactive le cortisol et l’empêche de se lier aux récepteurs aux minéralocorticoïdes. En cas de dysfonction de 11-HSD2, le cortisol active le récepteur aux minéralocorticoïdes entraînant une HTA par rétention hydrosodée et une hypokaliémie par fuite urinaire de potassium. Ces formes d’HTA peuvent donc être assimilées à un syndrome de Cushing d’expression purement rénale. Cet aspect sera détaillé dans les cours correspondants à venir (HTA et hypokaliémie et Pseudo-hyperaldostéronismes).

Le posaconazole est un antifongique triazole, de structure similaire au fluconazole, à l’itraconazole et au voriconazole. En Europe, il est autorisé pour traiter l’aspergillose invasive, la fusariose, la chromoblastomycose, le mycétome et la coccidioïdomycose, lorsque les traitements avec d’autres antifongiques (amphotéricine B, itraconazole ou fluconazole) ne sont pas tolérés ou qu’ils ont échoué et pour la prévention des infections fongiques chez les patients immunodéprimés. L’hypertension et l’hypokaliémie figurent sur la liste des effets indésirables fréquents, mais ce n’est qu’en 2017 que des études sur les mécanismes moléculaires de l’hypertension induite par le posaconazole ont été publiées (Beck 2017, Boughton 2018, Barton 2018).

L’itraconazole et le posaconazole sont de puissants inhibiteurs de la 11b-hydroxy stéroïde déshydrogénase 2 humaine (11b-HSD2, corticostéroïde 11b-déshydrogénase isozyme 2) (Beck 2017). L’inhibition de la 11b-hydroxylase entraîne un syndrome biochimique ressemblant à une hyperplasie génétique congénitale des surrénales et caractérisé par des taux élevés de 11-désoxycorticostérone et de 11-désoxycortisol ainsi que d’androgène. Le posaconazole peut induire une hypertension proportionnelle à la dose, associée à une hypokaliémie, une alcalose métabolique et à une suppression des taux de rénine et d’aldostérone, qui a été décrite sous diverses formes : excès apparent de minéralocorticoïdes (AME), pseudohyperaldostérone ou hyperplasie surrénalienne (01 - Les pseudo-hyperaldostéronismes).

L’abiraterone (Zytiga®) est un agent de chimiothérapie hormonale utilisé pour traiter le cancer de la prostate. L’abiraterone inhibe de façon sélective et irréversible la CYP17 (17 alpha-hydroxylase/C17,20-lyase), une enzyme nécessaire à la biosynthèse des androgènes qui est exprimée dans les tissus testiculaires, surrénaliens et tumoraux prostatiques. L’abiraterone inhibe aussi la formation des précurseurs de la testostérone, la déhydroépiandrostérone (DHEA) et l’androstenedione.
Ce médicament est associé à une incidence élevée d’hypertension artérielle, d’hypernatrémie (33 %), et d’hypokaliémie (17 % à 30 %). Le mécanisme présumé est que l’abiraterone augmente les concentrations de minéralocorticoïdes en raison de l’inhibition de la CYP17. L’administration concomitante de corticostéroïdes réduit l’incidence et la gravité de ces effets indésirables. Dans une méta-analyse de 5 études, chez 5 445 patients recevant de l’abiratérone, l’incidence globale d’hypertension de tous grades et de grades élevés (grades 3 et 4) était de 21,9 % et 10,2 % respectivement (Zhu 2019). Le risque d’hypertension est affecté par l’utilisation concomitante de prednisone, avec un risque d’HTA 2 fois plus élevé chez les patients recevant de la prednisone à petite dose (5 mg par jour) que chez ceux sous prednisolone 10 mg/j (incidence 32,4 % vs 16,5 %). Il est recommandé de surveiller l’hypertension, l’hypokaliémie et les oedèmes au moins une fois par mois. Le traitement de l’hypertension est recommandé, mais le choix du médicament n’est pas défini.

5. Estro-progestatifs (contraception orale et traitement hormonal substitutif)

Les contraceptifs oraux augmentent de façon dose-dépendante la pression artérielle de quelques mmHg. Avec les anciens contraceptifs oraux fortement dosés, 3 à 5 % des femmes développaient une hypertension artérielle qui régressait dans les mois suivant l’interruption de cette contraception. En revanche, le traitement hormonal substitutif ne modifie pas sensiblement la pression artérielle et peut être prescrit chez une femme hypertendue en l’absence de contre-indication d’autre nature. Cet aspect sera détaillé plus largement dans le cours correspondant 01a - Risque tensionnel de la contraception hormonale et du THM.

6. HTA, sympathomimétiques et médicaments d’action centrale

Les sympathomimétiques (cocaïne, amphétamines, ectasy) sont responsables de mini-orages catécholergiques responsables de poussées tensionnelles parfois sévères et susceptibles de s’accompagner d’ischémie tissulaire, en particulier coronaire. On peut en rapprocher les agents centraux comme les anorexigènes (sibutramine). Cet aspect est détaillé dans les cours HTA et addictions et Complications cardiorénales des NDS.

La nicotine contenue dans les cigarettes ou le tabac à mâcher (mais pas les patchs transdermiques), est responsable d’une augmentation transitoire de la pression artérielle (30 minutes ou moins) de 10 mmHg en moyenne.

Le rôle des vasoconstricteurs nasaux (éphédrine) sur la PA est plus discuté. La phénylpropanolamine est présente dans plusieurs spécialités en France (Denoral®, Humex®, Rinurel®, Rinutan®...). Elle peut élever la pression artérielle des sujets normentendus et aggraver l’HTA chez les sujets hypertendus, notamment en cas de dépassement des doses autorisées. Il en est de même pour les autres décongestionnants nasaux contenant de l’éphédrine, de la pseudo-éphédrine et de la phényléphrine.

Les inhibiteurs de la monoamine oxydase ou IMAO (phenelzine), utilisés comme antidépresseurs favorisent le risque de poussées tensionnelles en cas d’ingestion d’aliments riches en tyramine (Chianti, fromages fermentés), de la prise de phénylpropanolamine ou d’amphétamines, ou en cas de phéochromocytome.

Les antidépresseurs tricycliques favorisent indirectement le risque de poussée tensionnelle chez les malades hypertendus traités par clonidine (Catapressan®) dont ils annulent l’effet antihypertenseur.

Les IRS fluoxetine (Prozac®) et paroxetine (Deroxat®) inhibent le cytochrome P450 2D6 qui métabolise le métoprolol, le timolol et le propranolol (mais pas l’aténolol ou le sotalol), si bien que leur prescription peut augmenter les concentrations plasmatiques de ces médicaments et leurs effets thérapeutiques. Les IRS fluoxetine et fluvoxamine(Floxyfral®) inhibent CYP3A4, qui métabolise les dihydropyridines nifédipine, amlodipine, et le vérapamil ce qui peut indirectement favoriser leur effet antihypertenseur (voir pour plus de détails les Tables d’interaction médicamenteuse)

Le bupropion (Zyban®), un inhibiteur neuronal de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine, est moins efficace dans le traitement de l’anxiété que dans celui de la dépression mais peut aggraver une hypertension.

La venlafaxine (Effexor®), un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN), est un médicament de seconde ligne utile dans le traitement de la dépression, des accès de panique et des troubles anxieux généralisés (GAD). A forte dose, cependant, il possède des effets dopaminergiques qui élèvent la pression artérielle même chez des individus qui n’étaient pas hypertendus au préalable. Cette hypertension peut s’accompagner de bouffées vasomotrices, de tachycardie et plus rarement de troubles du rythme ventriculaire (torsade de pointe) avec allongement du QT.

Les autres inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) incluent la duloxetine (Cymbalta®) et la desvenlafaxine (Pristiq®), qui est un métabolite de la venlafaxine. Ces médicaments semblent assez efficaces mais n’ont pas un effet thérapeutique aussi bien démontré que celui de la venlafaxine. L’hypertension est un effet indésirable potentiel de la desvenlafaxine mais pas de la duloxetine.

Les dérivés de l’ergot de seigle peuvent déclencher des poussées hypertensives lorsqu’ils sont injectés (méthylergotamine, Méthergin®) pour stopper des métrorragies. L’effet prohypertenseur semble plus discret avec la prise orale chronique d’ergotamine ou de dihydro-ergotamine pour céphalées et migraines. Rappelons que les manifestations tensionnelles dans ce contexte, sont paradoxalement favorisées par les béta-bloqueurs.

Plus exceptionnellement, la bromocryptine (Parlodel®) utilisée pour bloquer le montée laiteuse dans le post-partum, peut être responsable de poussée hypertensive. Ce risque devrait faire contre-indiquer la bromocryptine en cas d’antécédents personnels, mais aussi peut être familiaux, de toxémie gravidique.

Les anti-émétiques comme la métoclopramide (Primpéran®) ou la prochlorpérazine peuvent parfois être responsables de poussées hypertensives, notamment lorsqu’ils sont utilisés par voie IV en association avec les chimiothérapies anticancéreuses.

7. HTA et EPO ("EPO-tension")

L’érythropoïétine recombinante (EPO) est un traitement remarquablement efficace de l’anémie associée à l’insuffisance rénale mais aussi de celle associée au myélome, à la polyarthrite rhumatoïde et de certaines chimiothérapies ou traitement antiviraux (zidovudine). La fréquence réelle de l’EPO-tension (HTA induite par l’EPO) est diversement appréciée. Elle est assez fréquente chez les sujets dialysés, mais son incidence au stade de prédialyse paraît plus faible, peut être en raison de l’usage systématique de la voie sous-cutanée et de doses plus faibles. Dans l’étude multicentrique contrôlée, l’incidence de l’HTA est de 19% dans le groupe placebo, 14 % dans le groupe traité avec 50 U/kg, de 18 % avec 100 U/kg, et 36 % avec 150 U/kg. Ces différences ne sont pas significatives. Globalement, on ne note pas d’EPO-tension ou une incidence faible (8 %) chez des patients urémiques non dialysés. Il est intéressant de noter l’incidence faible de l’EPO-tension chez les sujets traités pour une anémie non liée à l’insuffisance rénale (suggérant une composante volémique importante).

L’EPO-tension est difficilement prévisible même si certains facteurs favorisants ont été avancés :
— la présence d’une hypertension préalable ;
— une élévation rapide de l’hématocrite ;
— une prédisposition génétique à l’hypertension ;
— la voie intraveineuse et les posologies élevées.

Les mécanismes physiopathologiques de l’EPO-tension ne sont pas définitivement établis. On distingue schématiquement :

  • des effets liés à l’augmentation de la masse globulaire :
    — élévation de la volémie ;
    — élévation de la viscosité sanguine ;
    — suppression de la vasodilatation hypoxémique ;
  • et des effets vasopresseurs directs de l’EPO sur le système artériel :
    — élévation du calcium cytosolique des cellules musculaires lisses vasculaires, observée à doses supra-thérapeutiques ;
    — stimulation de la synthèse et de la libération d’endothéline 1, surtout observée après administration intraveineuse et/ou à des posologies élevées.

L’activité pressive directe de l’EPO est mise à profit dans le traitement de l’hypotension orthostatique de la dysautonomie (article 222). Les effets des EPO sur le risque cardiovasculaire seront détaillés dans un cours à venir "Complications cardiovasculaires de l’EPO.

8. Anticalcineurines

La cyclosporine (Neoral®) est largement utilisée en transplantation d’organe depuis 1984 et dans certaines pathologies auto-immunes, en raison de son activité immunosuppressive.

L’HTA est devenue très fréquente avec l’usage de la cyclosporine, qui représente actuellement la cause principale d’l’HTA en transplantation d’organe. Ceci est bien illustré par l’augmentation d’incidence de l’HTA en transplantation cardiaque et en greffe de moelle, en l’absence d’insuffisance rénale. La prévalence? de l’HTA est passée de 10 % avant l’usage de la cyclosporine à 30-60 % en greffe de moelle et 70-100 % en transplantation cardiaque, après l’introduction de la cyclosporine.

La cyclosporine augmente la pression artérielle par un effet vasoconstricteur direct de l’ensemble de la vasculature. Les effets indirects associent une diminution de la production de NO, une augmentation de la libération d’endothéline, une stimulation du système nerveux central. L’activation adrénergique est plus importante chez le transplanté cardiaque, en raison de la dénervation du coeur qui supprime les afférences cardiaques inhibitrices du baroreflexe. Le système rénine-angiotensine est par contre inhibé chroniquement chez l’homme traité par la cyclosporine (cf infra).

A cet effet vasconstricteur systémique s’ajoute un effet tubulaire rénal favorisant la rétention hydro-sodée. Les ICN favorisent la surexpression de la forme phosphorylée active de NCC (le transporteur du NaCl dans le tube distal) chez l’animal comme chez l’homme. Les effets presseurs des ICN disparaissent chez les animaux invalidés pour NCC, alors que la réponse hypertensive est au contraire exagérée chez les animaux surexprimant NCC. Les diurétiques thiazidiques, en réversant l’hyperactivité de NCCT, sont des médicaments de choix pour le traitement de l’HTA induite par les ICN.

La prévalence de l’HTA est globalement comparable voire supérieure avec le tacrolimus (Prograf®) un autre inhibiteur de la calcineurine utilisé en transplantation d’organe. L’HTA en contexte de transplantation d’organe sera détaillée dans le cours correspondant à venir (01a - HTA en transplantation d’organe).

9. Antiviraux

Les médicaments antiviraux utilisés dans le traitement combiné de l’infection HIV sont associés à une augmentation du risque d’hypertension artérielle et de complications cardiovasculaires. Dans une étude observationnelle prospective chez 444 patients HIV traités, l’augmentation moyenne de PA systolique est faible + 3 mmHg mais significative pour la cohorte entière. Environ 20% des patients développe sous traitement antiviral une élévation de PA systolique > 10 mmHg et 2 % une hypertension définie par une PA>140/90 mmHg.

La contribution d’une classe spécifique d’antiviral reste discutée mais le lopinavir et le ritonavir (antiprotéases) augmentent x 2 le risque d’élévation tensionnelle alors que les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (afavirenz, nevirapine) ont un risque plus faible que les antiprotéases et les autres inhibiteurs.

L’élévation tensionnelle semble favorisée par l’âge, l’HTA préexistante et elle est souvent associée à d’autres facteurs de risque vasculaire (hyperlipidémie en particulier). Pour le ritonavir/lopinavir, l’élévation tensionnelle est en partie dépendante de l’augmentation de l’IMC? et elle est plus souvent observée lors de la reprise de poids, chez les individus initialement très dénutris.

L’indinavir (un antiprotéase) n’a pas d’effet prohypertenseur global mais une fraction des sujets traités (5-10 %) développent une élévation tensionnelle > 40 mmHg, un effet probablement lié à un mécanisme néphrotoxique.

10. Anti-angiogéniques

Les médicaments antiangiogéniques sont de plus en plus utilisés dans le traitement de formes avancées de cancers (colon, rein, foie, sein, poumon). Ces médicaments sont :
— le bevacizumab, un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le VEGF-A et,
— des petites molécules inhibitrices de la fonction tyrosine kinase des récepteurs au VEGF comme le sunitibib et le sorafenib.

L’HTA est l’effet indésirable le plus fréquemment observé chez les patients traités par anti-VEGF. L’incidence exacte est mal définie car la PA est habituellement incorrectement mesurée dans ces circonstances et l’effet varie selon la dose et le médicament utilisé. L’élévation tensionnelle est précoce et constante chez tous les individus traités, qu’ils soient préalablement normo- ou hypertendus. Cette HTA est généralement contrôlable par le traitement antihypertenseur et compromet rarement la poursuite du traitement antiangiogénique.

Le mécanisme est incomplètement élucidé mais passe par la neutralisation des effets physiologiques du VEGF au niveau de la cellule endothéliale de la paroi vasculaire (activation de la NO synthase endothéliale et production de NO vasodilatateur). Il s’y associe une raréfaction artériolaire et capillaire.

L’atteinte rénale est également fréquente avec ces traitements. Elle prend habituellement la forme d’une protéinurie d’abondance variable et dose-dépendante, réversible à l’arrêt du traitement anti-angiogénique. Plus rarement, il s’agit une insuffisance rénale aiguë ou rapidement progressive. L’atteinte histologique est celle d’une mésangiolyse et parfois d’une véritable microangiopathie thrombotique.

Figure 5 : Histologie rénale sous anti-VEGF. MAT glomérulaire montrant des cellules endothéliales turgescentes (endothéliose) et de nombreux double-contour des parois avec espace clair (zones de mésangiolyse).

Figure 6 : Marquage des corps des podocytes normaux avec l’anticorps monoclonal anti-VEGF au cours d’une MAT liée aux anti-VEGF

Enfin le sunitinib est associé aussi une cardiotoxicité directe avec un risque d’insuffisance cardiaque symptomatique. Des recommandations françaises ont été publiées pour la surveillance et la prise en charge de l’hypertension induite par les médicaments anti-angiogéniques (document joint ci-dessous).

Quelques considérations doivent être prises en compte pour le traitement :
— le recours aux diurétiques thiazidiques doit être prudent et surveillé (risque d’hypercalcémie chez les patients avec des métastases osseuses).
— prudence avec les béta-bloqueurs en raison des troubles de conduction intracardiaque avec le sunitinib.
— les inhibiteurs du CYP3A4 (diltiazem, vérapamil) sont contre-indiqués chez les patients traités par sunitinib et sorafenib qui sont métabolisés par ce cytochrome.
L’amlodipine et la nifédipine qui sont aussi des substrats de CYP3A4 doivent aussi être utilisés avec prudence. Les BCC? peuvent en revanche être utilisés chez les patients traités par bévacizumab.
— en cas de protéinurie > 1 g/j les IEC? ou ARA2 doivent être utilisés en première intention.

10. Autres anticancéreux

L’onco-hypertension est un secteur en plein développement et de nombreux anticancéreux sont maintenant reconnus comme des inducteurs d’hypertension artérielle. L’hypertension est une complications fréquente de nombreuses chimiothérapies, le risque est généralement dose-dépendant et le plus souvent médié par une réduction de la biodisponibilité du vasodilatateur oxyde nitrique (NO), une baisse du VEGF ou une toxicité endothéliale directe.

Ci-dessous la liste (non exhaustive) des principaux agents anticancéreux responsables d’hypertension (d’après Cohen 2023) :

Classe
Produit | Indications | Fréquence de l’HTA | Mécanismes présumés
Anti-angiogéniques bevacizumab, sunitinib K rein, foie, thyroide 20-90% NO, endothéline
Inhibiteurs de BRAF/MEK vemurafenib‚ dabrafenib‚ encorafenib Mélanome, K colon 20% NO
Bruton Tyrosine Kinase Inhibitors ibrutinib LLC, lymphone manteau 70% NO
RET inhibitors selpercatinib, pralsetinib K thyroide, poumon 50%, 20%  ?
Poly(ADP-ribose) polymerase inhibitors niraparib K sein, ovaire 20%  ?
Inhibiteurs du protéasome carfilzomib, bortezomib Myélome 30%, 10% NO
sels de platine cisplatine, carboplatine mésothéliome, K testicule, vessie, colon, poumon 50% toxicité endothéliale & rénale
agents alkylants ifosfamide, busulfan hémopathies, K solide 15%, 60% VEGF ?
inhibiteurs de mTOR everolimus, sirolimus K rein, sein, neuro-endocrine 15% VEGF
anti-aromatase anastrozole, letrozole K sein 10-15%  ?
anti-androgènes abiratérone, leuprolide K prostate 25%, 15% accumulation précurseurs minéralocorticoides

L’incidence de l’HTA avec ces traitements varie de 10% (anti-aromatase) jusqu’à 90% avec les anti-angiogéniques. Pour plus d’informations, les aspects physiopathologiques et la prise en charge sont détaillés dans un document récent de l’AHA? (Cohen 2023).

 
 

Références

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Voir en ligne : Sites explorant les interactions médicamenteuses