Cet article analyse le risque? tensionnel associé à la contraception hormonale et au traitement hormonal substitutif.
Le risque cardiovasculaire associé à ces hormones est détaillé dans la section : article 257
Parmi les femmes en âge de procréer, 6 à 10 % des femmes de 18 à 44 ans sont hypertendues, avec une prévalence plus élevée chez celles présentant un surpoids ou des antécédents familiaux d’HTA [ESC 2024]. L’hypertension artérielle (HTA) majore le risque d’accident vasculaire, notamment d’accident vasculaire cérébral (AVC) [Goldstein 2010]. Dans ce contexte, la prescription d’une contraception hormonale doit être prudemment évaluée, en tenant compte du profil cardiovasculaire de la patiente [Cohen 2024].
Cependant, les femmes ayant une hypertension artérielle systolique ≥ 140 mmHg et/ou diastolique ≥ 90 mmHg doivent être considérées à risque accru de complications en cas de grossesse. Une évaluation personnalisée du risque est indispensable avant de leur proposer une contraception hormonale [ESC 2024].
La contraception par œstroprogestatifs (CEP) existe depuis plus de 50 ans, et le type de molécules ainsi que les doses utilisées ont évolué.
En France, les méthodes hormonales de contraception sont délivrées soit par voie orale (pilules œstroprogestatives, progestatives pures ou modulateurs sélectifs des récepteurs à la progestérone), soit par voie extra-digestive (anneau vaginal, patch transdermique, implant, dispositif intra-utérin (DIU) au lévonorgestrel ou injection intramusculaire de progestatif).
L’éthinyl-estradiol a été le premier œstrogène utilisé, avec des dosages passant de 50 à 15 microgrammes par comprimé. Depuis 2009, les formulations sans éthinyl-estradiol, utilisant le valérate d’estradiol ou l’acétate de nomégestrol, sont préférées chez les femmes ayant un profil de risque cardiovasculaire accru [JAMA 2020] .
Les progestatifs ont également évolué :
En tenant compte des différentes formulations et voies d’administration, plus de 50 spécialités de contraception hormonale sont actuellement disponibles en France.
Chez les femmes normotendues
Les premières études épidémiologiques avec des fortes doses d’œstrogènes (≥ 50 µg d’éthinyl-estradiol) ont montré une élévation moyenne de la pression artérielle de 3-6/2-5 mmHg, avec environ 5 à 7 % des utilisatrices développant une HTA avérée après 5 ans d’utilisation [HTN 2023].
Plus rarement, des formes graves d’hypertension ont été observées :
Les formulations actuelles de contraceptifs oraux combinés (COC), quelle que soit la voie d’administration (orale, transdermique ou vaginale), sont associées à une élévation modérée de la pression artérielle systolique et/ou diastolique de 2 à 8 mmHg [JAMA 2018]. Une HTA franche peut apparaître chez 0,8 à 3 % des utilisatrices [JAMA 2020]. Le retour aux chiffres tensionnels normaux est observé en moyenne dans les 3 à 6 mois suivant l’arrêt du contraceptif oral combiné.
Les données concernant les nouvelles associations estroprogestatives sans éthinyl-estradiol (valérate d’oestradiol et diénogest, acétate de nomégestrol et 17β-oestradiol) sont encore limitées, mais les premiers résultats suggèrent un impact moindre sur la pression artérielle [ESC 2024] .
Les microprogestatifs sont généralement considérés comme sûrs sur le plan cardiovasculaire, mais des études complémentaires sont nécessaires pour évaluer leur innocuité à long terme [HTN 2023].
Chez les femmes hypertendues
L’HTA est 2 à 3 fois plus fréquente chez les femmes sous COC, en particulier chez celles de plus de 35 ans ou obèses. Même avec des formulations faiblement dosées en éthinyl-estradiol (< 30 μg), un risque significatif persiste [Piementa 2012].
L’étude Nurses’ Health Study II (suivi de 70 000 infirmières sur 4 ans) a démontré un risque accru d’HTA chez les utilisatrices de CO (OR 1,8 (IC 95 % 1,5-2,3) après ajustement pour l’âge, le poids et les autres facteurs de risque [Chasan-Tabber 1996]. Cependant, ce risque est réversible : 41,5 cas pour 10 000 personnes/année ont pu être attribués aux CO, avec une normalisation tensionnelle rapide après arrêt.
Facteurs de risque favorisant l’HTA sous CO :
Les études actuelles montrent que les progestatifs seuls (microprogestatifs, DIU au lévonorgestrel) n’induisent pas d’élévation tensionnelle significative* [ESC 2024].
Résumé des recommandations ESC 2024
Les mécanismes physiopathologiques par lesquels la contraception orale (CO) augmente la pression artérielle sont progressivement mieux élucidés, notamment grâce aux avancées récentes sur l’implication du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) et des modifications vasculaires induites par les estrogènes et les progestatifs [ESC 2024] .
Les premières études avaient suggéré que les estrogènes exogènes, en particulier l’éthinyl-estradiol (EE), stimulent la production hépatique d’angiotensinogène, conduisant à une activation accrue du SRAA et à une élévation tensionnelle [HTN 2023]. Cet effet est observé lors de l’administration par voie orale mais également par d’autres voies d’administration, y compris transdermique et vaginale [Sitruk-Ware 2007, Burkman 2007]. Toutefois, l’ampleur de cette activation du SRAA ne semble pas corrélée directement avec l’élévation tensionnelle observée chez certaines utilisatrices de CO [JAMA 2020]. Par ailleurs, les traitements par inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II) ne permettent pas d’inverser systématiquement l’HTA induite par CO, suggérant l’implication de mécanismes additionnels [ESC 2024].
Le rôle des progestatifs reste débattu. Certains progestatifs à action anti-minéralocorticoïde, comme la drospirénone, ont été associés à une élévation tensionnelle moindre grâce à leur effet diurétique et anti-aldostérone [Kriplani 2010, Guido 2004, Ahmed 2011]. Toutefois, aucune donnée probante sur la réduction du risque cardiovasculaire n’a été établie avec ces formulations [ESC 2024].
Les nouvelles associations oestroprogestatives sans EE (valérate d’oestradiol + diénogest, acétate de nomégestrol + 17β-oestradiol) n’ont pas encore démontré d’impact significatif sur la pression artérielle par rapport aux formulations classiques à base d’EE [Wiegratz 2003]. Elles conservent donc à ce jour les mêmes contre-indications que les COC classiques [HTN 2023].
Le principal risque associé à l’HTA induite par une contraception hormonale est la persistance d’une hypertension après l’arrêt du contraceptif, augmentant le risque de complications cardiovasculaires précoces, notamment après 35 ans ou chez les patientes fumeuses [JAMA 2018]. L’utilisation des contraceptifs oestroprogestatifs chez des femmes hypertendues double le risque d’événements cardiovasculaires majeurs, indépendamment de la dose d’estrogènes utilisée [Chan 2004, Baillargeon 2005]. L’étude OMS avait déjà montré un surrisque significatif d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux chez les femmes sans dépistage tensionnel préalable [Stampfer 1988]. Ainsi, la mesure systématique de la pression artérielle avant toute prescription de CO est la seule évaluation clinique impérative recommandée par l’OMS [ESC 2024].
Les principales recommandations internationales [Curtis 2010, MMWR 2010] et les nouvelles recommandations ESC 2024 sont concordantes concernant l’utilisation des contraceptifs chez les femmes hypertendues.
Contraception oestroprogestative (COC)
Contraception microprogestative et DIU au lévonorgestrel
En pratique
La prévalence de l’HTA augmente significativement après la ménopause, ce qui rend difficile la distinction entre un effet propre de la ménopause et un effet du THS sur l’évolution tensionnelle (voir le cours correspondant article 80) [ESC 2024].
Dans les années 1970, la publication de cas sporadiques d’HTA associée au THS a contribué à une suspicion excessive quant à l’effet des estrogènes sur la pression artérielle, en raison de l’augmentation connue de la synthèse hépatique d’angiotensinogène sous estrogènes oraux [SFHTA 2018].
Cependant, les doses d’estrogènes utilisées dans le THS sont beaucoup plus faibles que celles des contraceptifs oraux, et l’impact global du THS sur la pression artérielle semble modeste voire neutre, comme le montrent les grandes études randomisées :
WHI (Women’s Health Initiative) :
PEPI (Postmenopausal Estrogen/Progestin Interventions) :
Dans certaines études observationnelles, une baisse tensionnelle nocturne plus marquée chez les femmes sous THS a été rapportée, identifiant un profil dit « dipper ». Ce profil est associé à une réduction du risque d’atteinte cardiovasculaire (hypertrophie ventriculaire gauche, AVC, progression des maladies rénales) [HTN 2023].
L’étude longitudinale de Baltimore a également montré que chez 226 femmes post-ménopausées normotendues suivies 5,7 ans, celles sous THS avaient une augmentation tensionnelle systolique plus modérée (1,6 mmHg vs. 8,9 mmHg chez les non-utilisatrices) [ESC 2024].
En résumé :
La drospirénone est un progestatif de 4ᵉ génération, présentant des propriétés progestatives, diurétiques et anti-minéralocorticoïdes avec un effet antihypertenseur documenté. Chimiquement apparentée à la spironolactone, elle présente une activité anti-minéralocorticoïde environ 8 fois plus puissante (3 mg de drospirénone = 25 mg de spironolactone) [HTN 2023].
Effets de la drospirénone sur la pression artérielle
Études clés : MAPA sous 2 et 3 mg de drospirénone + estradiol 1 mg chez 750 femmes ménopausées
Effet de la drospirénone sur la balance sodée chez 80 femmes sous 20 ou 30 mcg d’EE et an apport sodé fixe à 100 mmol/j : la balance sodée cumulative est négative de 85 mmol au 10ème jour.
Effet antihypertenseur de différentes doses drospirénone + estradiol 1 mg : MAPA au 2ème mois de traitement chez 750 femmes ménopausées
Place de la drospirénone en contraception et en THS
Chez la femme jeune sous contraception hormonale
Chez la femme ménopausée hypertendue sous THS
Conclusions et recommandations
Le risque tensionnel est principalement associé à la contraception hormonale et non au traitement hormonal substitutif (THS), qui a démontré un impact neutre à légèrement bénéfique sur la pression artérielle. L’association entre contraception et hypertension repose essentiellement sur les effets des estrogènes de synthèse (éthinyl-estradiol) sur le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) et l’élévation tensionnelle associée, particulièrement chez les femmes présentant des facteurs de risque cardiovasculaire (âge > 35 ans, tabagisme, obésité, HTA gravidique, maladie rénale chronique).
Ainsi, toute décision thérapeutique doit intégrer une évaluation individualisée du risque cardiovasculaire avant la prescription d’un contraceptif hormonal, en privilégiant les alternatives les plus sûres telles que les microprogestatifs et les dispositifs intra-utérins au lévonorgestrel, conformément aux recommandations ESC 2024.
La drospirénone, grâce à ses propriétés progestatives et anti-minéralocorticoïdes, représente une option potentiellement intéressante chez les femmes hypertendues ou développant une hypertension de novo sous contraceptifs classiques. Son effet hypotenseur démontré en THS pourrait être exploité pour réduire le besoin de traitement antihypertenseur chez certaines patientes ménopausées. Toutefois, son rôle dans la prise en charge de l’HTA sous contraception hormonale reste à préciser, et son utilisation en première ligne ne peut être recommandée en l’absence de données robustes sur sa capacité à prévenir les complications cardiovasculaires.
En conclusion, la gestion de l’HTA chez la femme sous contraception hormonale ou THS nécessite une approche individualisée et un suivi tensionnel régulier, en privilégiant les stratégies les plus sûres et fondées sur les dernières recommandations scientifiques.
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