La quantification de la fonction rénale est un problème crucial en pratique quotidienne. Plus spécifiquement en médecine cardiovasculaire, la connaissance précise de la fonction rénale est essentielle pour trois raisons majeures :
La réduction de la fonction rénale est un puissant prédicteur indépendant d’événements cardiovasculaires majeurs à l’échelle de la population, une corrélation particulièrement renforcée pour les patients atteints d’albuminurie modérée ou sévère (catégories A2 et A3 selon KDIGO?).
La réduction de la fonction rénale impose des ajustements posologiques de plusieurs médicaments (par ex., augmentation de la dose de diurétiques de l’anse, diminution ou contre-indication pour les IEC? ou certains anticoagulants oraux) conformément aux recommandations de 2024 sur la sécurité médicamenteuse.
La prise en charge des patients atteints d’insuffisance rénale chronique (IRC?) reste sous-optimale dans certains cas, notamment pour les procédures utilisant des produits de contraste iodés, les traitements pharmacologiques à posologies sous-maximales ou la réticence à la revascularisation, un problème adressé dans les lignes directrices de la HAS? actualisées pour minimiser la néphrotoxicité.
Définition et classification selon KDIGO 2024
Critères diagnostiques de la maladie rénale chronique (MRC) : Une réduction persistante du DFG estimé (<60 ml/min/1,73 m²) pendant une durée supérieure à 3 mois. Présence d’un ou plusieurs marqueurs de lésion rénale :
Albuminurie significative (RAC >3 mg/mmol ou >30 mg/g)
Anomalies structurelles rénales détectées par imagerie ou biopsie
Sédiment urinaire pathologique.
Stratification des risques basée sur la classification CGA :
GFR (G1-G5) : G1 (normal), G5 (<15 ml/min/m² ou IRCT).
Albuminurie (A1-A3) : A1 (normale), A3 (>300 mg/g).
Figure 1 : Classification et stratification de la MRC selon les classes de DFGe (G1 à G5) et d’Albuminurie (A1-A2-A3)
Les recommandations concernant le dépistage de l’insuffisance rénale et l’évaluation du débit de filtration glomérulaire (DFG) ont été actualisées dans les directives KDIGO 2024 et le guide HAS 2023. Ces recommandations préconisent désormais un dépistage ciblé des populations à risque, préférant cette approche à un dépistage universel proposé par la Société Internationale de Néphrologie (ISN).
Dans le guide du parcours de soins pour la MRC par la HAS, le dépistage doit être réalisé dans 12 situations principales. Ces recommandations soulignent que les trois premières (diabète, hypertension artérielle, âge > 60 ans) représentent environ 90-95 % des patients diagnostiqués. Cette liste reflète la prédominance des maladies cardiovasculaires et métaboliques comme causes de MRC, mettant en avant le rôle critique des reins comme cible et organe à surveiller.
Circonstances justifiant une évaluation du DFG et une recherche d’albuminurie (RAC) :
Diabète (type 1 et 2)
Hypertension artérielle (traitée ou non)
Âge > 60 ans
Obésité (IMC > 30 kg/m²)
Maladie cardiovasculaire athéromateuse (ex. : coronaropathie, AVC)
Insuffisance cardiaque
Antécédents familiaux de MRC (ex. : polykystose rénale autosomique dominante - PKR)
Affections urologiques (ex. : obstructions, infections urinaires récidivantes)
Maladies systémiques (ex. : lupus, myélome, vascularite, amylose)
Exposition à des médicaments néphrotoxiques (ex. : AINS, PCI, chimiothérapies)
Exposition à des toxiques professionnels (ex. : plomb, mercure, cadmium)
Antécédents d’insuffisance rénale aiguë
Modifications clés par rapport aux anciennes recommandations :
Un accent particulier est mis sur le dépistage des personnes ayant des antécédents d’insuffisance rénale aiguë, un facteur de risque récemment validé comme déterminant pour la progression vers une MRC.
L’albuminurie (RAC) reste l’examen de choix pour détecter les atteintes rénales précoces. La HAS 2023 et les KDIGO 2024 insistent sur la nécessité de coupler le dosage de la créatininémie à l’évaluation du RAC lors du dépistage.
L’intégration de la cystatine C pour la confirmation diagnostique est encouragée dans les cas où le DFGe basé sur la créatinine est proche des seuils critiques (45-60 ml/min/1,73 m²).
L’estimation du DFG repose sur l’utilisation de marqueurs endogènes et d’équations validées qui permettent une approximation fiable de la fonction rénale dans un contexte clinique. Cependant, pour certains cas complexes, la mesure directe du DFG reste la référence.
Les techniques de mesure directe utilisent des traceurs exogènes (inuline, iohexol, EDTA au chrome). Bien que précises, ces méthodes sont coûteuses et techniquement exigeantes, les réservant à des centres spécialisés. Elles sont indiquées dans des situations spécifiques, telles que les discordances entre les estimations de DFG ou dans des populations particulières lorsqu’une mesure précise est nécessaire (don de rein, posologie de chimiothérapies ou autres néphrotoxiques, essais cliniques, etc.).
Pour l’évaluation de la fonction rénale en population générale, il faut recourir à des méthodes plus simples. permettant d’estimer le DFG à partir de la concentration plasmatique d’un marqueur endogène dont l’élimination est exclusivement rénale par filtration glomérulaire. En pratique courante, le DFG est estimé à partir de la créatinine sérique ou de la cystatine C. Ces marqueurs, combinés à des équations mathématiques (obtenues par regression logistique en comparant avec des DFG mesurés), permettent une estimation adaptée aux différentes populations.
Créatinine : Historiquement utilisée comme marqueur principal, sa production dépend de la masse musculaire. Elle est influencée par l’alimentation, les médicaments interférant avec la sécrétion tubulaire, et certaines pathologies.
Cystatine C : Proposée comme alternative, elle est moins influencée par la masse musculaire mais sensible à l’inflammation et au tabagisme. Elle offre une meilleure précision dans les cas de variation musculaire extrême. La performance des équations est évaluée sur :
le biais : Différence moyenne entre le DFG mesuré (DFGm) et le DFG estimé (DFGe).
la P30 (précision) : Pourcentage des estimations situées dans une marge de ±30 % du DFG mesuré. Cet indicateur évalue la fiabilité clinique des équations.
Les valeurs de DFG sont standardisées pour une surface corporelle de 1,73 m², un avantage épidémiologique mais discutable individuellement. Les équations basées sur la créatinine restent sensibles aux variations de masse musculaire et aux interférences médicamenteuses. La cystatine C, bien qu’intéressante, souffre de coûts élevés et d’une standardisation encore limitée.
L’équation de Cockcroft & Gault estime la clairance de la créatinine (COcr) à partir de la créatinine plasmatique (Pcr), de l’âge, du sexe et du poids selon la formule suivante : COcr (ml/min) = a [140 - âge (ans)] x poids (kg) / Pcr (µmol/l)
Cette équation, bien qu’historique, n’est plus recommandée en pratique clinique pour évaluer la fonction rénale ou ajuster les traitements en raison de ses nombreuses limitations :
Surestimation chez les patients ayant des masses musculaires atypiques (obésité, œdème).
Sous-estimation chez les personnes âgées en raison de l’intégration directe de l’âge dans le numérateur.
Utilisation de dosages de créatinine obsolètes par méthode colorimétrique de Jaffé.
Cette équation, introduite en 1999, visait à améliorer l’estimation du DFG par rapport à Cockcroft & Gault. L’équation simplifiée de MDRD repose sur quatre variables : la créatinine plasmatique, l’âge, le sexe et l’origine ethnique. Formule abrégée : DFGe (ml/min/1,73 m²) = 175 x (créatinine plasmatique x 0,0113)^-1.154 x âge^-0.203 x (0.742 si femme) x (1.210 si afro-américain)
L’équation MDRD est progressivement remplacée par CKD-EPI pour plusieurs raisons :
Moins précise pour les DFG normaux ou élevés (> 60 ml/min/1,73 m²).
Dépendance à la correction raciale, qui est désormais abandonnée dans les versions modernes (voir CKD-EPI 2021).
Utilisation actuelle : L’équation MDRD peut encore être utilisée dans des contextes spécifiques, comme les comparaisons épidémiologiques internationales avec des pays n’utilisant pas le dosage enymatique ou calibré IDMS de la créatinine plasmatique.
Développée en 2009, l’équation CKD-EPI est devenue le standard international pour estimer le DFG. Elle utilise les mêmes paramètres que MDRD mais offre une précision améliorée, particulièrement pour les DFG normaux ou légèrement diminués (G1-G2). Formule générique : DFGe = 141 x min(Pcr/k,1)^a x max(Pcr/k,1)^-1.209 x 0.993^âge x (1.018 si femme) x (1.159 si noir) Où : Pcr est la créatinine plasmatique (mg/dl), k est 0.7 (femmes) ou 0.9 (hommes), a est -0.329 (femmes) ou -0.411 (hommes).
Une nouvelle formule CKD-EPI 2021 a été introduite pour répondre aux préoccupations éthiques et méthodologiques liées à la correction raciale utilisée dans CKD-EPI 2009. Cette équation omet le facteur ethnique, en faveur d’une estimation basée uniquement sur l’âge et le sexe.
Modifications principales de CKD-EPI 2021 : Suppression de la correction raciale, réduisant les biais historiques, notamment chez les populations noires américaines. Performances variables :
Chez les sujets noirs : réduction du biais, mais persistance d’une sous-estimation moyenne (-3,6 ml/min/1,73 m²).
Chez les non-noirs et hors États-Unis : sur-estimation du DFG (+3,9 ml/min/1,73 m²) en particulier chez les sujets de plus de 65 ans.
L’équation EKFC a été développée pour répondre aux limites des formules antérieures, notamment en tenant compte de l’âge, du sexe et des variations de créatinine plasmatique dans une large population européenne. Basée sur une calibration unique, elle couvre une plage étendue de fonctions rénales et est validée pour les patients âgés de 2 à 90 ans.
Formule générique EKFC = 107.3 / [Biomarqueur / Q]^a × [0.990^(âge - 40) si âge > 40 ans] où Q : valeur médiane de créatinine dans la population générale, et a : 0.322 si (Biomarqueur/Q) < 1, 1.132 si (Biomarqueur/Q) > 1.
Selon les recommandations KDIGO 2024 :
Performance améliorée : Biais faible (-0,9 ml/min/1,73 m²) et erreur réduite (P30 < 3 %) par rapport à CKD-EPI.
Pas de correction ethnique : Contrairement à CKD-EPI, EKFC ne dépend pas de l’ethnicité, ce qui renforce son applicabilité en Europe.
Validation limitée : La formule est validée principalement chez des populations blanches européennes et n’a pas été testée largement dans d’autres groupes ethniques.
Utilisation clinique : Recommandée pour les populations européennes, notamment les enfants et les adultes plus âgés (>40 ans), là où elle surpasse CKD-EPI dans la précision des estimations.
Limites : EKFC reste dépendante des mesures de créatinine calibrées et nécessite un dosage IDMS ou équivalent.
Figure 3 : Biais (DFGe – DFGm) de la formule EKFC creat, en fonction de l’âge par comparaison avec les équations FAS, CKiD (enfant) et CKD-EPI chez l’adulte. L’équation EKFC creat s’avère globalement plus performante que CKD-EPI creat, en particulier dans les populations européennes.
Les formules utilisant la créatinine plasmatique présentent des limites dans les situations où la production de créatinine est altérée, telles que :
Variations de masse musculaire : Obésité, amyotrophie, body building, ou amputation.
Régimes alimentaires spécifiques : Patients végétariens, chez qui la créatinine est environ 15 % plus basse à fonction rénale équivalente.
Pathologies ou traitements influençant la créatinine : Utilisation prolongée de glucocorticoïdes ou conditions inflammatoires.
Les médicaments interférant avec la sécrétion tubulaire de créatinine qui augmentent artéfactuellement la créatinine plasmatique (eg, cimétidine, sulfamides y compris furosémide, fibrates, etc.)
Pour surmonter ces limites, la cystatine C est devenue un marqueur alternatif pour estimer le DFG. La cystatine C est une protéine basique non glyquée de 13 kDa, librement filtrée par le glomérule et totalement réabsorbée et dégradée dans le tube proximal, sans excrétion urinaire. Avantages : Non influencée par la masse musculaire, permettant une estimation plus fiable dans les populations où la créatinine est biaisée. Limites :
Coût élevé, environ dix fois celui de la créatinine.
Très bonne précision analytique mais manque de standardisation.
Sensibilité à des facteurs extra-rénaux comme l’inflammation (CRP), le tabagisme et l’IMC.
Figure 4 : Hazard ratio ajustés de maladies CV et de mortalité CV le long su gradient de DFGe estimé soit à partir de la créatinine plasmatique soit de la cystine C. Globalement le DFGe cys est plus performant pour prédire le risque CV. Notez aussi que l’augmentation du risque augmente dès les valeurs de 90 ml/min/1,73m2 avec une augmentation du risque CV de 50% pour uen valeur à 60 ml/min/1,73m2 (vs 100).
Formule pour estimer le DFGe à partir de la cystatine C seule :
DFGe cys = 133 × min(Scys/0.8, 1)0.499 × max (Scys/0.8, 1)1.328 × 0.996Age [× 0.932 si femme] ou Scys est la cystatine C sérique, min indique le minimum de Scr/ ou1, et max indique le maximum de Scys/ ou 1. La cystatine C est exprimé en mg/l et la créatinine plasmatique en mg/dl.
Formule combinée créatinine-cystatine C : DFGe creat-cys = 135 × min(Scr/, 1) ? × max(Scr/, 1)^0.601 × min(Scys/0.8, 1)0.375 × max(Scys/0.8, 1)0.711 × 0.995Age [× 0.969 si femme] [× 1.08 si noir] ou Scr est la créatinine sérique, Scys est la cystatine C sérique, est 0.7 pour les femmes et 0.9 pour les hommes, est 0.248 pour les femmes et 0.207 pour les hommes, min indique le minimum of Scr/ ou 1, et max indique le maximum of Scr/ or 1.
Avantages :
Amélioration de la précision et réduction des biais par rapport à l’utilisation exclusive de la créatinine.
Reclassification significative des patients : 17 % des stades G3a (45-59 ml/min/1,73 m²) en DFGe créatinine reclassés en G2 par DFGe creat-cys. Études de validation : Une méta-cohorte de 93 000 patients (Shlipak et al., 2013) a démontré que le DFGe basé sur la cystatine C prédit mieux la mortalité cardiovasculaire et l’évolution vers l’insuffisance rénale terminale comparé au DFGe basé uniquement sur la créatinine.
L’équation EKFC a été adaptée pour utiliser la cystatine C comme biomarqueur. La méthodologie inclut une recalibration de la cystatine C en fonction de valeurs médianes dans des populations de référence.
Performance :
Biais faible et précision supérieure à CKD-EPI cys.
Absence de dépendance aux variables ethniques ou de sexe.
Précision (P30) : EKFC cys montre une performance supérieure, particulièrement dans les populations à DFG abaissé. Population étudiée : Étude multinationale incluant des populations européennes, américaines et africaines. Applications cliniques : Indiquée pour des estimations précises dans une large gamme d’âges et de profils métaboliques. Comparaison des performances
Figure 5 : Performance des différentes équations pour estimer le DFG en ce qui concerne le biais et la P30, en fonction de l’âge. Les équations sont désignées par le ou les marqueurs de filtration - eGFRcr (DFGe créatinine), eGFRcys (DFGe cystatine C) et eGFRcr-cys (DFGe créatinine-cystatine). La figure montre le biais (DFG estimé moins DFG mesuré) en fonction de l’âge. La zone grise indique la région où le biais est nul ±5. Pour le biais en fonction de l’âge, la différence des médianes a été comparée au moyen d’une régression quantile avec l’utilisation de polynômes du quatrième degré.
Figure 6 : Précision de P30 (pourcentage de patients dont le DFG estimé est <30% du DFG mesuré) en fonction de l’âge. La zone grise indique la région où la P30 est égale ou supérieure à 75 %. La P30 en fonction de l’âge a été tracé au moyen de splines cubiques avec trois nœuds libres, en utilisant des polynômes du troisième degré. CKD-EPI signifie Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration, et EKFC European Kidney Function Consortium.
Recommandations actuelles
Utilisation prioritaire : Cystatine C pour confirmer le diagnostic de MRC dans les cas où le DFGe créatinine est proche des seuils critiques.
Précision accrue :
Adopter EKFC cys pour des estimations dans les populations européennes.
Utiliser DFGe creat-cys pour des prédictions plus robustes des risques CV et rénaux.
Les recommandations KDIGO 2024 et les dernières mises à jour françaises HAS 2023 insistent sur des pratiques standardisées pour garantir la précision diagnostique et l’adéquation thérapeutique.
Recommandations clés (KDIGO 2024)
Évaluation initiale : Dosage de la créatinine plasmatique et estimation du DFG (fort niveau de preuve, 1A).
Confirmation diagnostique : Examens additionnels (cystatine C ou mesure directe du DFG) dans des circonstances spécifiques où le DFGe créatinine est moins fiable (2B).
Utilisation clinique du DFGe : Privilégier l’estimation du DFG basée sur la créatinine plutôt que la seule concentration plasmatique (1B).
Laboratoires : Mesurer la créatinine avec une méthode enzymatique calibrée IDMS et fournir systématiquement un DFGe (1B).
Cystatine C : Recommandée pour confirmer le diagnostic dans les cas de DFGe entre 45 et 59 ml/min/1,73 m² sans autres marqueurs de MRC (G3aA1) (2C).
Équations basées sur la cystatine C : Recommandées en complément ou comme alternative dans des contextes spécifiques, avec une précision accrue pour les formules combinées créatinine-cystatine C (CKD-EPI 2012 ou alternatives validées).
Évolutions récentes (2021 et 2024) :
Suppression de la correction ethnique (formule “race-free”). Cette mise à jour a été introduite pour corriger les biais systémiques associés à l’utilisation de facteurs raciaux.
CKD-EPI 2021 est désormais privilégiée dans les pays adoptant cette formule comme standard (Etats-Unis, Canada), mais son application en Europe n’est pas recommandée en raison de performances variables selon les populations étudiées.
Pour les patients avec des masses musculaires atypiques ou un risque accru de biais, intégrer la cystatine C pour une estimation plus précise (CKD-EPI créatinine-cystatine C).
Utiliser des mesures directes du DFG (iohexol, inuline) pour des contextes critiques tels que la chimiothérapie ou les décisions thérapeutiques complexes.
Consensus européen 2023 (Gansevoort et al.) :
Non-recommandation de CKD-EPI 2021 pour les populations européennes en raison de ses performances inférieures à EKFC dans ce groupe.
Les cliniciens européens sont invités à utiliser des équations validées localement (ex. EKFC) ou CKD-EPI 2009 sans facteur racial.
Évolutions et implications pour la pratique en France (HAS 2023) :
Recommandations sur le DFGe créatinine :
La formule CKD-EPI (2009) sans correction raciale reste le standard pour l’estimation du DFG en France, en raison de sa validation locale et de ses performances robustes.
L’équation CKD-EPI 2021 « race-free » n’est pas recommandée en Europe, car elle présente des biais plus importants dans les populations européennes par rapport à EKFC.
Cystatine C :
Son dosage reste limité en raison de son coût élevé et de l’absence de remboursement en France.
Recommandé dans des situations spécifiques, représentant environ 4 % de la population générale, notamment pour les stades G3aA1 ou pour les patients hospitalisés.
Une harmonisation nationale des pratiques de prescription et des rendus de laboratoires est nécessaire. Un groupe de travaill commun SFNDT-SFBC a fait des propositions dans ce sens qui devraient être mises en place courant 2025.
L’adaptation des posologies des médicaments reste un défi majeur dans la prise en charge des patients atteints d’insuffisance rénale, surtout en raison des limites des équations actuellement utilisées et des pratiques divergentes.
L’équation de Cockcroft & Gault, historiquement utilisée pour estimer la clairance de la créatinine, présente plusieurs limitations : Sous-performance méthodologique :
Les réactifs colorimétriques utilisés dans l’étude initiale ne sont plus commercialisés. Lorsque la créatinine enzymatique moderne est utilisée, la clairance calculée par Cockcroft est sous-estimée de 10-15 %.
Inclut le poids corporel dans le calcul, ce qui amplifie les biais en cas de variations de masse musculaire. Confusion dans la pratique clinique :
L’adaptation posologique selon la formule de Cockcroft ne figure expressément que dans 15% des fiches posologiques Vidal. D’autres modes d’expression trompeurs ou érronés sont utilisés dans la majorités des fiches, notamment pour les médicaments cardio-vasculaires.
Les laboratoires continuent de fournir des résultats basés sur Cockcroft pour répondre aux exigences réglementaires anciennes, malgré une discordance significative entre Cockcroft et les équations modernes (CKD-EPI et MDRD). Cela est source de confusion pour les cliniciens qui ne savent plus laquelle choisir !
Les recommandations actuelles (KDIGO 2024, HAS 2023) découragent l’utilisation de Cockcroft.
Recommandations actuelles pour l’adaptation posologique (KDIGO 2024, HAS 2023)
CKD-EPI :
Recommandée pour estimer le DFGe et ajuster les posologies grâce à sa précision accrue par rapport à Cockcroft et MDRD.
Doit être désindexée (DFGe désindexé) pour les patients ayant une surface corporelle (SC) très différente de 1,73 m². Formule de désindexation : DGFe desindéxé = DFGe x SC/1,73m2 où SC est la surface corporelle réelle du patient, calculée à partir du poids et de la taille (par exemple, via des applications cliniques comme QxMed).
Cystatine C et formules combinées :
Utilisées pour confirmer les estimations en cas de marge thérapeutique étroite (ex. : anticoagulants oraux directs, AOD) ou de risques néphrotoxiques élevés (ex. : chimiothérapie).
Les formules combinées (CKD-EPI créatinine-cystatine C) desindéxées sont préférées pour leur précision accrue dans ces contextes.
KDIGO 2024 privilégie CKD-EPI pour l’estimation initiale et recommande le recours à la cystatine C ou à des mesures directes du DFG pour les médicaments à marge thérapeutique étroite.
Utilisation des équations validées pour le DFGe :
L’évaluation de la fonction rénale repose sur des équations validées (CKD-EPI, EKFC).
Le dosage de la créatinine plasmatique est utilisé uniquement pour le calcul des équations et ne doit pas être interprété isolément comme marqueur de la fonction rénale.
Supériorité de CKD-EPI :
Aux stades G1 à G5 de la classification KDIGO, l’équation CKD-EPI surpasse systématiquement l’équation de Cockcroft & Gault en termes de précision et de validité clinique.
La formule CKD-EPI est particulièrement fiable pour des valeurs normales ou élevées (> 60 ml/min/1,73 m²).
Recommandations nationales :
En France, la HAS recommande l’utilisation de l’équation CKD-EPI 2009 et du dosage enzymatique calibré IDMS de la créatinine pour le calcul du DFGe.
Nouvelles formules prometteuses :
EKFC creat : Valide sur une plage d’âge large (2 à 90 ans), elle est particulièrement adaptée aux populations européennes.
Formules basées sur la cystatine C : CKD-EPI cys et EKFC cys offrent une meilleure précision pour prédire les risques rénaux et cardiovasculaires, notamment pour les patients au stade G3aA1.
Mesures directes du DFG : Recommandées dans des situations cliniques spécifiques où les équations sont moins précises :
Patients avec des masses musculaires atypiques (obésité, amyotrophie).
Conditions inflammatoires chroniques (ex. : CRP élevée).
Décisions nécessitant une précision absolue (ex. : don de rein, posologie des chimiothérapies, études cliniques).
Techniques reconnues : inuline, iohexol, chrome-EDTA.
Importance du seuil DFGe < 60 ml/min/1,73 m² : Identifie les patients à très haut risque cardiovasculaire, ce qui nécessite une prise en charge précoce et coordonnée avec des stratégies de réduction des risques.
Stevens LA, Coresh J, Greene T, Levey AS. Assessing kidney function - Measured and estimated glomerular filtration rate. N Eng J Med 2006 ;354 :2473-83 16760447
Gansevoort RT, Matsushita K, van der Velde M, et al. Lower estimated GFR and higher albuminuria are associated with adverse kidney outcomes. Kidney Int. 2011 ;80(11):1258-70. 21900879
Cockroft DW, Gault MH. Prediction of creatinine clearance from serum creatinine. Nephron 1976 ;16 :31-41 1244564
Levey AS, Bosch JP, Lewis JB, et al. A more accurate method to estimate glomerular filtration rate from serum creatinine : a new prediction equation. Ann Intern Med. 1999 ;130(6):461-70. 10075613
Levey AS, Greene T, Kusek J, Becj G. A simplified equation to predict glomerular filtration rate from serum creatinine. J Am Soc Nephrol 2000 ;11:155A (abs)
Levey AS, Coresh J, Greene T et al. Using standardized serum creatinine values in the modification of diet in renal disease study equation for estimating glomerular filtration rate. Ann Intern Med. 2006 ;145:247-54. 16908915
Verhave JC, Fessler P, Robstein J et al. Estimation of renal function in subjects with normal serum creatinine levels : influence of age and body mass index. Am J Kidney Dis 2005 ;46 :233-241 16112041
Go A, Chertow G, Fan D, et al. Chronic kidney disease as a risk of death, cardiovascular events and hospitalization. N Engl J Med 2004 ;351 :1296-305 15385656
Brosius FC, Hostetter TH, Kelepouris E et al. Detection of chronic kidney disease in patients with or at increased risk or cardiovascular disease. Circulation 2006 ;114:1083-7 16894032
Levey AS, Stevens LA, Schmid CH, et al. A new equation to estimate glomerular filtration rate. Ann Intern Med. 2009 ;150(9):604-12. 19414839
Levey AS & al. The definition, classification and prognosis of chronic kidney disease : a KDIGO? Controversies Conference report. Kidney Int 2010, doi10.1038/ki2010.483
Matzke GR & al. Drug dosing consideration in patients with acute and chronic kidney disease-a clinical update from KDIGO. Kidney Int 2011 ;80:1122
Haute Autorité de Santé – Rapport d’évaluation technologique : Evaluation du débit de filtration glomérulaire et du dosage de la créatininémie dans le diagnostic de la maladie rénale chronique chez l’adulte. Janvier 2012
Inker LA, Schmid CH, Tighiouart H, et al. Estimating glomerular filtration rate from serum creatinine and cystatin C. N Engl J Med. 2012 ;367(1):20-9. 22762315
Shlipak MG1, Matsushita K, Ärnlöv J, Inker LA, Katz R, Polkinghorne KR, Rothenbacher D, Sarnak MJ, Astor BC, Coresh J, Levey AS, Gansevoort RT ; CKD Prognosis Consortium. Cystatin C versus creatinine in determining risk based on kidney function. N Engl J Med. 2013 Sep 5 ;369(10):932-43. 24004120
Pottel H, Delanaye P, Schaeffner E, et al. Estimating glomerular filtration rate for the full age spectrum (FAS) : a modeling study. Clin Chem Lab Med. 2016 ;54(3):389-97. 26300333
Pottel H, Hoste L, Dubourg L, et al. An estimated glomerular filtration rate equation for the full age spectrum. Nephrol Dial Transplant. 2021 ;36(4):908-918. 32726479
Pottel H, Björk J, Courbebaisse M, et al. Development and Validation of a Modified Full Age Spectrum Creatinine-Based Equation to Estimate Glomerular Filtration Rate : A Cross-sectional Analysis of Pooled Data. Ann Intern Med. 2021 Feb ;174(2):183-191. doi : 10.7326/M20-4366. 33166224
Inker LA, Eneanya ND, Coresh J, et al. ; Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration. New Creatinine- and Cystatin C-Based Equations to Estimate GFR without Race. N Engl J Med. 2021 Nov 4 ;385(19):1737-1749. doi : 10.1056/NEJMoa2102953 34554658
Gansevoort RT, Anders HJ, Cozzolino M, Fliser D, Fouque D, Ortiz A, Soler MJ, Wanner C. What should European nephrology do with the new CKD-EPI equation ? Nephrol Dial Transplant. 2023 Jan 23 ;38(1):1-6. doi : 10.1093/ndt/gfac254. 36069913
Gutiérrez OM, Sang Y, Grams ME, et al. ; Chronic Kidney Disease Prognosis Consortium. Association of Estimated GFR Calculated Using Race-Free Equations With Kidney Failure and Mortality by Black vs? Non-Black Race. JAMA. 2022 Jun 21 ;327(23):2306-2316. doi : 10.1001/jama.2022.8801. 35667006
Lees JS, Rutherford E, Stevens KI, Chen DC?, Scherzer R, Estrella MM, Sullivan MK, Ebert N, Mark PB, Shlipak MG. Assessment of Cystatin C Level for Risk Stratification in Adults With Chronic Kidney Disease. JAMA Netw Open. 2022 Oct 3 ;5(10):e2238300. doi : 10.1001/jamanetworkopen.2022.38300. 36282503
Pottel H, Björk J, Rule AD, et al.. Cystatin C-Based Equation to Estimate GFR without the Inclusion of Race and Sex. N Engl J Med. 2023 Jan 26 ;388(4):333-343. doi : 10.1056/NEJMoa2203769. 36720134
Lees JS, Welsh CE, Celis-Morales CA, et al. Estimated GFR and mortality, cardiovascular, and kidney outcomes : Results from a UK Biobank study. Kidney Int. 2022 ;102(3):740-749. 35678963
Coresh J, Heerspink HJL, Sang Y, et al. Cystatin C in cardiovascular risk assessment : a pooled analysis of 15 studies. Circulation. 2021 ;143(9):750-763. 33529299
Keller N, Ruppert M, Fourtage M, Hannedouche T. Médicaments du système cardiovasculaire et fonction rénale : les pièges de l’adaptation rénale Cardiovascular drugs and renal function : Pitfall of renal adaptation]. Nephrol Ther. 2019 Apr ;15(2):97-103. doi : 10.1016/j.nephro.2018.11.005 30827822
KDIGO 2024 Work Group. Clinical Practice Guideline for the Management of Blood Pressure in Chronic Kidney Disease. Kidney Int. 2024 ;105(2):197-202. 36609782
KDIGO 2024 Clinical Practice Guideline for the Evaluation and Management of Chronic Kidney Disease. Kidney Int. 2024 ;105(Suppl 1):S1-S50. 36507520
Eckardt KU, Kasiske BL. KDIGO clinical practice guideline update for the evaluation and management of chronic kidney disease.
Kidney Int. 2022 ;101(3):319-338. 35209876
Levey AS, Tighiouart H, Inker LA. Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration 2021 equation improves GFR estimation without race. J Am Soc Nephrol. 2021 ;32(8):2293-2302. 34368918
HAS? Guide du parcours de soins – Maladie rénale chronique de l’adulte (MRC?). Mis en ligne le 17 nov. 2023 - Mis à jour le 17 nov. 2023 https://www.has-sante.fr/jcms/p_328...
Voir en ligne : Calculateurs du DFG par différentes formules