Les cardiologues utilisent des biomarqueurs pour évaluer le risque? de maladies cardiovasculaires (MCV). Parmi eux, la protéine C-réactive (CRP) mesure l’inflammation, un élément clé de l’athérosclérose. Des niveaux élevés de CRP (> 2 mg/L) indiquent un risque accru d’événements cardiovasculaires indésirables majeurs, et leur réduction est liée à une baisse de la mortalité cardiovasculaire. Autre biomarqueur important, le pro-BNP et ses dérivés, utilisés pour le diagnostic précoce de l’insuffisance cardiaque. Les troponines I et T, libérées lors de la nécrose des cardiomyocytes, sont aussi des biomarqueurs clés de l’ischémie myocardique.
L’albuminurie, c’est à dire l’excrétion anormalement élevée d’albumine dans l’urine (> 30 mg/j), constitue un facteur de risque pour les MCV et la maladie rénale chronique (MRC?). Sa prévalence? est comparable à celle de niveaux élevés de CRP, et son association avec les MCV est tout aussi significative. Bien que sous-estimée, l’albuminurie est un indicateur important de risque cardiovasculaire, particulièrement chez les individus âgés et les diabétiques. Des niveaux élevés de CRP et d’albuminurie augmentent respectivement le risque de maladie coronarienne d’environ 45% et 40%.
Cette revue souligne l’importance de l’albuminurie dans l’évaluation des risques cardiovasculaires. Elle examine la physiologie et la physiopathologie de l’excrétion d’albumine urinaire, son association avec les MCV, et les traitements disponibles pour réduire l’albuminurie, contribuant à diminuer le risque de MCV et d’événements cardio-rénaux.
L’urine d’un sujet ‘normal’, c’est-à-dire indemne de toute anomalie repérable, contient de très petites quantités de protéines, provenant pour plus d’un tiers d’une sécrétion tubulaire d’uromoduline (anciennement appelée mucoprotéine de Tamm-Horsfall) et pour le reste du plasma.
Le filtre glomérulaire restreint le passage des protéines sanguines vers l’espace urinaire, en fonction de leur taille et de leur charge électrique.
Les processus de réabsorption et dégradation dans le tube contourné proximal ramènent ensuite à une quantité minime les protéines de petit poids moléculaire (comme la b2-microglobuline) qui sont passées librement à travers le filtre glomérulaire, et celles de poids moléculaire intermédiaire (comme l’albumine) qui ne sont passées que très partiellement. Il ne persiste alors dans l’urine finale qu’une quantité d’albumine de l’ordre de quelques mg/l.
Figure 1 : Origine rénale de l’albumine
Figure 2 : Représentation schématique de la barrière de filtration glomérulaire, avec de haut en bas, l’endothélium fenestré et le glycocalyx, la membrane basale et les cellules podocytaires ou podocytes.
Figure 3 : Photographie en microscopie électronique de la barrière de filtration glomérulaire, avec de haut en bas, l’endothélium fenestré et le glycocalyx, la membrane basale et les cellules podocytaires ou podocytes.
L’augmentation de la quantité d’albumine excrétée dans les urines résulte d’une augmentation de la charge filtrée plutôt que d’un défaut de réabsorption/dégradation tubulaires. Cependant, certains variants dans les gènes codant pour les transporteurs qui réabsorbent l’albumine filtrée dans les cellules tubulaires proximales (cubiline) sont associés à l’albuminurie.
L’augmentation de cette albumine filtrée peut être liée à une lésion structurelle glomérulaire (au niveau de l’un de ses éléments : endothélium fenêtré et glycocalyx, membrane basale glomérulaire, podocytes et leurs prolongements et diaphragme de fente), ou à une anomalie fonctionnelle portant sur les déterminants de la perméabilité et/ou de l’hémodynamique glomérulaire.
L’albumine, protéine plasmatique majeure, joue un rôle crucial dans le maintien de la pression oncotique et le transport de divers ligands. Normalement, la barrière glomérulaire empêche son passage dans l’urine, avec un seuil normal fixé à < 30 mg/24 heures. L’albuminurie pathologique ( > 30 mg/24 heures) indique des anomalies glomérulaires, liés à un risque? accru de complications cardiovasculaires et rénales.
L’albuminurie est fréquente dans l’hypertension et le diabète, deux facteurs de risque majeurs pour les MCV. Elle résulte des altérations hémodynamiques causées par l’hyperglycémie et l’hypertension, endommageant la barrière de filtration glomérulaire. Cette barrière est composée du glycocalyx, des cellules endothéliales, de la membrane basale et des podocytes. Les lésions de ces composants, notamment les podocytes, conduisent à l’albuminurie et à la glomérulosclérose. Les dysfonctionnements cardiaques et rénaux s’influencent mutuellement, créant des syndromes cardiorénaux. Dans ces cas, la décompensation cardiaque peut entraîner une hyperpression veineuse rénale, générant ou aggravant l’albuminurie.
Nomenclature et méthodes d’évaluation
L’albuminurie est classée en 3 stades A1, A3, A3 de sévérité croissante. Sa détection en pratique clinique se fait via plusieurs méthodes. La référence est la mesure du taux d’excrétion d’albumine sur 24 heures, mais cette méthode est peu pratique. Le rapport albumine/créatinine urinaire (RACU) est plus utilisé, bien qu’il ne soit qu’une approximation du taux d’excrétion d’albumine. Plusieurs facteurs, tels que la masse musculaire ou les habitudes alimentaires, influencent les mesures du RACU. L’urine du premier matin offre une meilleure corrélation avec l’excrétion d’albumine sur 24 heures que les échantillons aléatoires. Les bandelettes réactives, utilisées pour le dépistage, ont une sensibilité limitée pour détecter la microalbuminurie et ne sont plus recommandée dans cette indication.
Tableau 1 : Nomencalture et stadification de l’albuminurie (selon KDIGO? 2024). Noter que le terme "microalbuminurie n’est plus recommandé et doit être remplacé par "albuminurie de stade A2". De même les termes "protéinurie" et macroalbuminurie" sont obsolètes et doivent être remplacés par "albuminurie de stade A3".
Tableau 2 : Méthodes d’évaluation de l’albuminurie. Les méthodes variées prêtent à confusion : la méthode de référence reste le dosage de l’albuminurie des 24h et peut être remplacée en pratique par le rapport albumine/créatinine urinaire (RACU) sur échantillon.
La maladie rénale chronique (MRC?) est diagnostiquée lorsque des anomalies de la structure ou de la fonction rénale avec des conséquences négatives pour la santé sont présentes pendant plus de 3 mois. Actuellement, les critères KDIGO utilisés pour catégoriser la MRC sont l’albuminurie (> 30 mg/24 h ou > 30 mg/g de créatinine urinaire) ou une baisse significative du DFGe? (< 60 mL/min/1,73 m2). Les individus ne répondant pas à ces critères ont traditionnellement été considérés comme non à risque de maladie cardio-rénale.
Cependant, des études cliniques rétrospectives semblent soutenir le contraire, démontrant une association continue entre les valeurs d’albuminurie et le risque cardio-rénal qui commence dans la plage normale des valeurs d’albuminurie. Ainsi, le seuil de l’albuminurie définissant la MRC est donc plus de six fois supérieur aux niveaux physiologiques, alors que l’association entre le rapport albumine/créatinine urinaire (RACU) et le risque de maladie cardiovasculaire (MCV) est linéaire à partir de niveaux de 1 mg/g. Dans l’étude LIFE par exemple, des seuils de RACU allant de 6,45 à 9,37 mg/g (selon le sexe et le type d’analyse) étaient déjà associés à un risque accru de MCV. De plus, la définition de la MRC basée sur un seuil de DFGe < 60 ml/min.1,73m2 implique une perte de plus de 50% de la masse rénale fonctionnelle, indiquant que ces critères et seuils diagnostiques ne distinguent que les stades tardifs de la maladie.
Figure 4 : Méta-analyse de plus de 2 millions d’individus montrant la relation (HR?) entre l’excrétion urinaire d’albumine en mg/g et la mortalité de toute cause. La relation est linéaire, sans seuil et commence dès les valeurs faibles d’albuminurie > à 10 mg/g. On constate aussi que le seuil de 30 mg/g définissant la MRC correspond déjà à un risque de mortalité de +50% par rapport aux individus strictement normoalbuminuriques. Cette zone représente un « angle mort » dans l’évaluation du risque par le RAC? (d’après Hallan, 2012)
L’albuminurie et un DFGe abaissé sont des prédicteurs indépendants d’un risque plus élevé de décès lié à la MCV qui, chez les patients atteints de MRC, est supérieur au risque de traitement de suppléance rénale. Un RACU élevé augmente clairement le risque rénal et de MCV, même si le DFGe est préservé. Les patients présentant à la fois une albuminurie et un DFGe diminué sont à haut risque cardio-rénal, avec de lourdes conséquences pour la morbidité et la mortalité liées à la MCV.
Sur la base de ces prémisses, les directives 2021 de la Société Européenne de Cardiologie (ESC?) sur la prévention cardiovasculaire recommandent de mesurer l’albuminurie et le DFGe dans le cadre de l’évaluation routinière. Les valeurs de RACU ou de DFGe indiquant une MRC modérée ou sévère placent automatiquement l’individu à un risque élevé ou très élevé de MCV, respectivement, indépendamment de la présence ou non de facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels. Ainsi, ajouter l’albuminurie à l’échelle SCORE augmente la prévalence? d’un risque de MCV élevé ou très élevé chez les patients atteints de MRC.
Les directives antérieures proposaient que l’albuminurie soit mesurée systématiquement chez les patients à haut risque de MCV en raison de la présence d’hypertension artérielle, de diabète de type 2 (DT2), d’obésité, d’insuffisance cardiaque (IC), de maladie coronarienne ou d’hyperlipidémie. Cependant, étant donné le coût élevé associé à la MRC, qui en Europe dépasse celui du cancer et du DT2, et le faible coût de la mesure de l’albuminurie, en plus de la nécessité d’identifier les patients précédemment non détectés à haut risque de MCV, les directives de prévention cardiovasculaire de l’ESC 2021 proposent que l’évaluation opportuniste ou systématique de l’albuminurie soit envisagée chez tous les hommes de plus de 40 ans et chez toutes les femmes de plus de 50 ans (ou post-ménopausées).
Il est important de souligner que ces deux indicateurs, et particulièrement l’albuminurie, devraient être évalués au moins chez les patients présentant les facteurs de risque classiques pour les MCV et d’autres facilitateurs (les nouveaux biomarqueurs prédictifs examinés ci-dessous) et devraient idéalement être mesurés chez tous les hommes de plus de 40 ans et toutes les femmes de plus de 50 ans, comme indiqué dans les directives de prévention cardiovasculaire de l’ESC 2021.
2.1 Hypertension
L’HTA? augmente le risque d’albuminurie, dès le stade de PA normale-haute, particulièrement lorsque l’hypertension diastolique isolée est présente. Des augmentations mineures et continues de la PA systolique sont associées à un risque plus élevé de MCV, même lorsqu’elles restent dans la soi-disant plage normale (c’est-à-dire non-hypertension), et en l’absence d’autres facteurs de risque traditionnels. En outre, jusqu’à 25% des patients avec une hypertension soutenue et traitée développent une albuminurie, indiquant la progression de la maladie cardio-rénale. En effet, les phénotypes de risque identifiés avec la surveillance ambulatoire de la PA sont associés au développement de l’albuminurie, et une relation étroite entre la PA nocturne et le développement de l’albuminurie a été décrite il y a plus de 20 ans. De plus, la MRC est accompagnée d’une augmentation de la variabilité de la pression artérielle de visite en visite, ce qui facilite la progression de l’albuminurie.
L’hyperaldostéronisme primaire (HAP) est une cause plus fréquente d’hypertension essentielle que ce que l’on pensait précédemment, si bien un dépistage de l’HAP doit être réalisé dans les populations hypertensives et diabétiques avec albuminurie.
2.2 Tabagisme
Le tabagisme est associé à la fois à l’ampleur de l’albuminurie et au risque de MRC. Le risque persiste même après l’arrêt du tabac et les chances de MRC sont plus élevées chez les fumeurs actuels et anciens que chez ceux qui n’ont jamais fumé.
2.3 Maladie coronaire
L’albuminurie est fortement associée à la maladie coronaire (MC?) et à l’incidence? des accidents vasculaires cérébraux (AVC?). Les personnes avec albuminurie présentent une gravité accrue de MC, un score élevé de calcium dans les artères coronaires, une ischémie silencieuse non détectée, un développement limité de vaisseaux collatéraux dans les zones de MC, et une issue plus défavorable après une chirurgie de pontage aortocoronarien. Une méta-analyse? a montré un risque relatif de 1,41 de développer une MC clinique chez les personnes avec albuminurie.
Une étude transversale en Corée a révélé une corrélation entre l’albuminurie et un score significatif de calcium dans les artères coronaires. L’albuminurie est associée à une vasodilatation altérée et à une augmentation des facteurs inflammatoires, indiquant une potentielle déstabilisation de l’athérosclérose sous-jacente chez les patients hypertendus ou diabétiques, et une dysfonction endothéliale chez ceux sans ces conditions.
2.4 Accident Vasculaire Cérébral
Concernant l’AVC, deux méta-analyses ont confirmé un lien entre l’albuminurie et un risque accru d’AVC, y compris les AVC ischémiques et hémorragiques, indépendamment de la présence de diabète de type 2 ou d’hypertension. Les études suggèrent que tout niveau d’albuminurie est associé à un risque accru d’AVC, soulignant l’importance de l’albuminurie comme marqueur de risque cardiovasculaire.
2.5 Rigidité Artérielle
Des études ont montré une relation bidirectionnelle entre l’albuminurie et la rigidité artérielle. Par exemple, l’étude Jackson Heart a révélé une association entre une vitesse d’onde de pouls carotide-fémorale élevée et l’albuminurie prévalente. Chez les diabétiques, la rigidité aortique était fortement associée à l’albuminurie, mais pas chez les non-diabétiques. Des études en Chine et Framingham ont également confirmé ces liens, indiquant que la rigidité artérielle peut être un précurseur ou un résultat de l’albuminurie.
2.6 Calcification Vasculaire
La calcification vasculaire, contribuant à la rigidité artérielle, a été liée à l’albuminurie dans de nombreuses études. Chez les patients diabétiques avec une fonction rénale préservée, une macroalbuminurie était associée à une augmentation significative de la rigidité aortique et des microcalcifications de l’artère fémorale.
2.7 Artériopathie Périphérique
L’albuminurie a été corrélée à une incidence accrue de maladie artérielle périphérique, surtout chez les patients diabétiques. L’étude d’Okinawa a également démontré une association entre l’albuminurie et la maladie artérielle périphérique, indiquant un possible lien avec la rigidité artérielle.
2.8 Insuffisance Cardiaque
L’albuminurie est plus fréquente chez les adultes atteints d’IC. L’étude ARIC a montré que des niveaux normaux-élevés de RACU étaient associés à une IC subséquente, et une méta-analyse a révélé un risque accru de mortalité toutes causes avec microalbuminurie et macroalbuminurie. Chez les personnes atteintes d’IC avec une fraction d’éjection préservée, une augmentation du RACU était liée à un remodelage accru des ventricules et à une dysfonction systolique. Même une albuminurie de faible grade est associée à une hypertrophie ventriculaire gauche et à une dysfonction diastolique chez les patients hypertendus.
2.9 Arythmie
Une méta-analyse a révélé une augmentation graduelle du risque d’arythmie auriculaire incidente avec la présence de microalbuminurie et de macroalbuminurie. Des études ont également associé l’albuminurie à une prévalence plus élevée de fibrillation auriculaire et de tachycardie ventriculaire non soutenue.
2.10 Autres Associations Cardiovasculaires
L’albuminurie est également associée à la rétinopathie diabétique et à la neuropathie périphérique diabétique, indiquant une maladie microvasculaire sous-jacente. Chez les patients hypertendus, des niveaux plus élevés d’albuminurie sont observés chez ceux avec rétinopathie.
La réduction de l’albuminurie, influencée par le contrôle du diabète et de la pression artérielle, peut diminuer le risque de maladies cardiovasculaires (MCV). Les agents thérapeutiques comme les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone, les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 et les antagonistes minéralocorticoïdes sont efficaces pour réduire l’albuminurie. Bien que la réduction de l’albuminurie n’ait pas montré une forte protection contre les MCV, elle est efficace pour la protection rénale.
— Les IEC? et les ARA2? réduisent le risque d’événements cardiovasculaires majeurs chez les patients atteints de maladie rénale chronique (voir cours Hypertension et MRC -> ]).
— Les inhibiteurs de SGLT2, initialement développés pour le diabète, ont démontré des effets protecteurs cardiovasculaires. Trois études majeures ont évalué leur impact. L’étude CREDENCE impliquant 4401 patients diabétiques, a montré que la canagliflozine réduisait le RACU de 31 % et augmentait la probabilité de réduction de l’UACR de 30 %. Chaque baisse de 30 % du RACU était liée à une réduction du risque de MACE et d’hospitalisation pour IC ou décès cardiovasculaire. L’étude DAPA-CKD avec 4304 participants, a révélé que la dapagliflozine réduisait la mortalité CV et l’hospitalisation pour IC de 29 % et entraînait une réduction moyenne de l’albuminurie chez les patients diabétiques et non diabétiques. Enfin, dans l’étude EMPA-KIDNEY incluant 6609 patients, l’empagliflozine a réduit le RACU moyenn de 19 %. Le critère composite principal de mortalité CV ou de progression de la maladie rénale était significativement inférieur avec l’empagliflozine par rapport au placebo, en particulier chez les patients avec une albuminurie élevée.
Ces études suggèrent que la réduction de l’albuminurie avec les iSGLT2? est associée à une protection cardiovasculaire, bien que la nature exacte de cette relation reste à établir. La dapagliflozine et l’empagliflozine sont approuvées par la FDA et l’EMEA pour réduire le risque de décès CV et d’hospitalisation pour IC chez les patients atteints d’IC ou de diabète de type 2 et, chez les patients avec une MRC, pour réduire le risque de progression rénale. La canagliflozine est approuvée pour les patients diabétiques.
— Les antagonistes du récepteur minéralocorticoide (ARM?), stéroïdiens et non stéroïdiens, sont une autre classe de médicaments réduisant l’albuminurie et le risque de MCV. Les MRAs bloquent les récepteurs minéralocorticoïdes, réduisant l’inflammation et la fibrose dans le cœur, les reins et les vaisseaux sanguins, processus notables dans l’IC et la maladie rénale chronique (MRC).
La spironolactone et l’éplérénone, deux ARMs stéroïdiens, ont prouvé leur efficacité dans la réduction de la mortalité et de la morbidité cardiovasculaires chez les patients atteints d’IC chronique.
La finérenone, un ARM non stéroïdien, offre une sélectivité accrue pour les MR?, une meilleure distribution tissulaire dans le cœur et le rein, et moins d’effets secondaires tels que l’hyperkaliémie et la gynécomastie. Une méta-analyse portant sur 13 945 patients diabétiques avec MRC a démontré une diminution significative du RAC chez ceux traités par finérenone par rapport au placebo. La finérenone réduisait également le risque de dégradation de la fonction rénale et de MACE, avec une incidence plus faible d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (IC). Elle est approuvée par la FDA et l’EMEA pour réduire le risque d’événements rénaux et cardiovasculaires chez les patients atteints de MRC et de DT2. Des analyses ont montré que la réduction de l’albuminurie avec la finérenone était en grande partie responsable de la diminution des risques de MRC et de MCV.
— D’autres médicaments réduisent l’albuminurie et le risque de MCV. Les diurétiques thiazidiques, souvent utilisés avec des inhibiteurs du SRAA?, peuvent réduire l’albuminurie de plus de 35 % (via leur effet antihypertenseur).
Les statines, fréquemment prescrites en cardiologie, diminuent également l’albuminurie et le risque d’événements cardiovasculaires.
Les agonistes des récepteurs du GLP1 utilisés dans le diabète et l’obésité réduisent aussi le risque de progression de l’albuminurie et de MACE.
Une élévation intermédiaire A2 de l’albuminurie (anciennement appelée microalbuminurie). a longtemps été considéré comme l’apanage de la néphropathie diabétique débutante (ou néphropathie diabétique incipiens). Cette interprétation initiale s’est avérée erronée car l’augmentation de l’albuminurie est un stigmate précoce et universel observé au cours de toutes les maladies rénales.
En cas de néphropathie, l’albuminurie initiale prédit la vitesse de dégradation de la fonction rénale, et l’évolution de l’albuminurie sous traitement (= albuminurie « résiduelle ») est directement corrélée avec le risque de survenue d’une IRC? terminale (recours à la dialyse).
Une méta-analyse du Chronic Kidney Disease Prognosis Consortium permet de mieux quantifier le risque rénal associé à une albuminurie. Le RACU (exprimée en log) est linéairement corrélée avec le risque d’IRCT (également exprimée en log), sans seuil, ainsi d’ailleurs qu’avec les risques de maladie rénale progressive et d’atteinte rénale aigue. Cette valeur prédictive est indépendante, mais non multiplicative, de la valeur prédictive d’une baisse du DFGe au dessous de 60 ml/min.
Figure 5 : Relations entre l’albuminurie et la progression de l’insuffisance rénale chronique dans 3 types de populations : diabétique, hypertendue, et population générale
Les mécanismes reliant l’albuminurie au risque de progression rénale sont partiellement élucidés. L’albuminurie n’est pas un simple témoin de lésions rénales, mais contribue de façon directe à la progression de la maladie rénale en déclenchant une inflammation, puis une fibrose interstitielle péritubulaire proximale (voir Figure 5 et légendes).
Figure 6 : Mécanismes potentiels liant l’albuminurie à la progression de l’insuffisance rénale chronique. L’albumine ayant passé la barrière glomérulaire est réabsorbée dans le tube proximal par le système cubiline-mégaline. Dans le secteur interstitiel, l’albumine déclenche des mécanismes physiopathologiques aboutissant à l’inflammation, la fibrose, l’expansion mésangiale et l’hypertension qui vont provoquer une insuffisance rénale. Ces mécanismes sont médiés par différentes voies de signalisation incluant ERK, NFKB, protéine kinase C, MCP-1, RANTES, radicaux oxygénés, endothéline, TGF-béta et entrainent des lésions rénales irréversibles.
De façon importante et similaire à ce qui est observé pour la mortalité cardiovasculaire, la diminution de l’albuminurie lors d’interventions pharmacologiques est associée à une réduction de la progression de la maladie rénale et du recours à la dialyse. Une méta-analyse, chez presque 30 000 patients inclus dans 41 essais randomisés contrôlés a montré qu’une diminution de 30% de la moyenne géométrique de l’albuminurie est associé à une diminution de 30% du critère combiné rénal (insuffisance rénale terminale + DFG? < 15 mL/min/1,73 m² + doublement de la créatinine plasmatique) (Heerspinck 2019)
Figure 7 : Relation entre la réduction de l’albuminurie sous traitement pharmacologique et la vitesse de progression de l’insuffisance rénale.
Le dépistage de l’albuminurie est crucial pour la prévention de l’insuffisance rénale terminale et des complications cardiovasculaires. Les patients avec une albuminurie élevée ont des coûts de soins plus élevés. Plusieurs directives recommandent le dépistage régulier de l’albuminurie chez les patients avec MRC, diabète ou hypertension. Ces recommandations sont fondées sur l’efficacité des médicaments réduisant l’albuminurie à protéger contre les événements rénaux et cardiovasculaires.
Tableau 3 : Recommandations internationales concernant le dépistage de l’albuminurie. La variété des recommandations, qui dépendent parfois d’un contexte médico-économique propre à un pays, ne facilite pas la perception et l’application du dépistage de l’albuminurie.
Bien que le dépistage de l’albumine urinaire soit cliniquement pertinent, son adhésion reste faible. Aux États-Unis, moins de 50 % des patients diabétiques sont testés annuellement. Des études montrent des taux de RAC faibles chez les diabétiques (35,1 %) et très faibles chez les hypertendus (4,1 %). Les données en France ne sont guère plus encourageantes avec des taux de dépistage par RAC <40% dans le diabète et 15% chez les patients hypertendus.
Plusieurs raisons expliquent cette faible adhésion :
— perception que les résultats n’affecteront pas la gestion du patient,
— coût : en France, le dosage du RAC est recommandée par l’HAS? annuellement chez les sujets avec diabète, hypertension et MRC. Ces dosages sont remboursés intégralement.
— mauvaise adhésion des patients, notamment vis à vis d’un recueil urinaire, cet obstacle est en partie levé par le RAC sur échantillon
— connaissance suboptimale des recommandations par les praticiens de soins primaires.
— Le manque de consensus dans les directives sur l’utilisation des mesures de la MRC (DFGe et albuminurie) pour la prédiction du risque cardiovasculaire contribue également à la confusion.
Des obstacles comme les incitations financières inadéquates, les soins de santé fragmentés, et l’accès limité aux soins de santé affectent les taux de dépistage. Pourtant, des mesures simples comme les rappels basés sur les dossiers médicaux électroniques et l’éducation des patients et des cliniciens peuvent améliorer les taux de dépistage.
— L’albuminurie est un marqueur robuste et puissant de risque cardiovasculaire et rénale chez le patients diabétique ou non.
— Il existe une forte association entre l’albuminurie, les MCV, et la mortalité cardiovasculaire.
— L’albuminurie pathologique persistante (> 30 mg/g) indique la nécessité d’une attention médicale intensive.
— Améliorer l’adhésion aux recommandations de dépistage de l’albuminurie peut offrir des avantages cliniques et économiques significatifs.
— Un diagnostic précoce offre une occasion cruciale d’intervenir avec une thérapie protectrice cardiorénale.
— Les directives internationales devraient fournir des recommandations plus claires sur le dépistage et la gestion de l’albuminurie.
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