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Mise à jour : 29 juillet 2024 - Mise en ligne : 11 juin 2025, par Thierry HANNEDOUCHE
 
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En médecine cardiovasculaire, la distinction entre le risque? absolu et le risque relatif reste fondamentale, bien que les approches contemporaines soulignent l’importance de comprendre ces concepts dans un contexte plus nuancé et dynamique.

Le risque absolu (RA?) est défini comme la probabilité (exprimée généralement en pourcentage) qu’un événement cardiovasculaire survienne sur une période donnée. Cette mesure, souvent dérivée de modèles de prédiction, permet d’estimer le risque total d’un individu ou d’une population en tenant compte de multiples facteurs de risque. Par exemple, les nouvelles équations PREVENT de l’AHA? incluent non seulement les facteurs traditionnels tels que la pression artérielle, le cholestérol et le diabète, mais intègrent aussi des déterminants sociaux de la santé pour une estimation plus holistique et représentative du risque cardiovasculaire [Khan 2023].

Le risque relatif (RR?), quant à lui, est une mesure sans dimension indiquant dans quelle mesure un facteur de risque augmente ou diminue la probabilité de survenue d’une maladie par rapport à une référence. Cette approche est utile pour comprendre l’effet comparatif d’un facteur de risque particulier, mais elle peut parfois manquer de pertinence clinique lorsqu’elle est utilisée isolément pour la prise de décision thérapeutique. En conséquence, l’usage du RR est souvent critiqué pour son caractère potentiellement trompeur et devrait être interprété en combinaison avec le risque absolu pour des décisions plus éclairées [Lloyd-Jones 2019].

1. Peut-on estimer le risque? ?

1.1 Le risque associé à l’hypertension artérielle est continu

L’évaluation du risque cardiovasculaire basée uniquement sur les chiffres de pression artérielle d’un individu est souvent insuffisante. En effet, la classification d’un individu comme normotendu ou hypertendu selon qu’il ait une pression artérielle < ou > à 140/90 mmHg ne reflète pas nécessairement son risque réel, puisque le risque cardiovasculaire associé à l’hypertension artérielle augmente de façon continue et proportionnelle aux valeurs tensionnelles, y compris au-delà des seuils dits "normaux hauts" (Staessen 2001). Des études récentes soulignent l’importance de considérer ce continuum du risque et de personnaliser les interventions thérapeutiques selon les caractéristiques individuelles plutôt que de se baser sur une classification binaire stricte [Saba 2024].

Figure 1 : Mortalité en fonction des valeurs de PA? "normales" en 3 groupes : optimal, normal et pré-hypertension.

1.2 Le risque cardiovasculaire dépend de l’ensemble des facteurs de risque

Le risque cardiovasculaire global d’un individu est déterminé par l’ensemble des facteurs de risque auxquels il est exposé, incluant le tabac, l’hypercholestérolémie, le diabète, et d’autres paramètres tels que les déterminants sociaux de la santé. Par exemple, l’intégration des données sur les antécédents familiaux, les conditions socio-économiques, et d’autres comorbidités permet d’affiner l’évaluation du risque en utilisant des modèles multifactoriels modernes comme le QRISK3 ou SCORE2 qui prennent en compte une plus large gamme de variables [28].

L’évaluation du risque global est encore plus importante avec l’apparition de nouveaux calculateurs comme SCORE2-Diabetes, qui prend en compte des facteurs spécifiques aux patients diabétiques tels que l’HbA1c et le débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe?), afin de mieux estimer le risque cardiovasculaire chez cette population vulnérable [SCORE 2D 2023].

Figure 2 : Risque coronarien dans l’étude Framingham montrant l’effet multiplicateur sur le risque global de l’addition des facteurs de risque.

En pratique clinique, la quantification par le praticien du risque global d’un individu est assez approximative parce qu’il est très difficile d’intégrer le poids de l’ensemble des facteurs de risque et de leurs interactions. Une étude canadienne a ainsi montré que les médecins (même les plus aguerris) surestimaient systématiquement et souvent de façon considérable (d’un facteur de 2 à 7) le risque clinique de leurs patients, par rapport au risque calculé par un modèle mathématique informatisé (Grover 1995).

Il est donc préférable de recourir à une quantification plus objective et plus reproductible du risque à l’aide d’équations basées sur un modèle statistique. Si le modèle de prédiction est bon et si tous les facteurs de risque sont pris en compte, le risque global estimé est proche du risque absolu observé. Les nouveaux outils de prédiction du risque, comme le calculateur PREVENT de l’AHA?, intègrent des facteurs de risque supplémentaires tels que les paramètres métaboliques et rénaux, ce qui permet une estimation plus précise et personnalisée du risque cardiovasculaire [Khan 2023].

2. Modèles de sommation des facteurs de risque

Les modèles de prédiction traditionnels, tels que les tables colorées de risque (« heatmap ») de la Société Européenne de Cardiologie (ESC?) et de l’European Society of Hypertension (ESH?), offrent une approche simple et intuitive pour la stratification du risque. La limite principale de ce mode de représentation est qu’il permet de stratifier le risque entre individus dans une même région mais ne permet pas d’estimer un risque absolu, ce qui rend difficile d’évaluer l’impact des interventions. Un individu avec les mêmes facteurs de risque sera classé avec un niveau de risque différent selon le pays d’origine.

De plus, ces « tables de risque » considèrent comme à très haut risque cardiovasculaire certaines situations pathologiques isolées (comme par exemple le post-infarctus, le diabète compliqué ou l’insuffisance rénale chronique de stade G4-G5) quel que soit le niveau tensionnel. Il n’est pas besoin de tables pour classer ces individus. De façon plus curieuse, ces modèles « tabulaires » (ESC, HAS?) incluent le calcul de risque selon SCORE (voir plus bas), impliquant que ce modèle est insuffisant à lui seul pour évaluer le risque en population.

La Société Européenne de Cardiologie et la Société Européenne d’Hypertension Artérielle proposent une approche tabulaire à 20 cases, avec en plus 2 niveaux de pression artérielle "normal" et "normal haut" et deux niveaux de risque "élevé" et "très élevé" (Mach 2020).

Figure 3 : Échelle de risque tabulaire de la Société Européenne de Cardiologie et d’Hypertension ESC/ESH 2018 intégrant le grade d’hypertension et les FR? associés.

Figure 4 : Échelle de risque de la Société Européenne de Cardiologie et d’Hypertension ESC/ESH 2018.

En France, l’HAS consciente des limites des modèles de sommation, a émis une note de cadrage en 2021 pour la mise à jour de l’évaluation du risque cardiovasculaire global en prévention primaire et secondaire. Les résultats de ces travaux ne sont pour l’instant pas publiés ni même connus.

3. Modèles d’estimation du RCVA?

Plusieurs modèles prédictifs sont actuellement utilisés pour estimer le risque cardiovasculaire athérosclérotique, chacun avec ses spécificités et limites. Tous ces modèles ont été établis dans des cohortes spécifiques pour lesquelles les données de morbi-mortalité cardiovasculaire étaient connues plus ou moins bien validé dans des cohortes externes.
Les principaux modèles incluent Framingham, ASCVD et PREVENT pour l’Amérique du Nord, ainsi que SCORE2 et QRISK3 pour l’Europe.
Ci-dessous sont résumés les principaux modèles de risque par ordre chronologique.

3.1 Équations de la Framingham Heart Study

Le modèle de Framingham, basé sur une cohorte d’Américains suivis depuis les années 1970, a été le premier à modéliser le risque cardiovasculaire à partir d’un ensemble de facteurs : âge, sexe, pression artérielle systolique, ratio HDL-cholestérol/total, tabagisme, diabète, et hypertrophie ventriculaire gauche (HVG?). Ce modèle est reconnu pour sa capacité de discrimination du risque sur des horizons de 5 à 10 ans, bien qu’il présente certaines limites, comme l’inclusion de l’HVG, un facteur rare et associé à une large incertitude.

Figure 5 : Risque coronarien prédit par l’équation de Framingham comparé au taux d’événements coronariens observés dans une population britannique

Un exemple interactif du modèle original de Framingham est présenté sur ce site, et permet de montrer comment adapter le calcul du risque à la France, le nombre de sujet à traiter et le bénéfice de différentes interventions.

Des mises à jour récentes ont supprimé l’HVG et introduit des variantes qui utilisent soit des variables biochimiques soit des variables cliniques simples (par exemple, IMC? au lieu de bilan lipidique). Ces versions sont prometteuses pour une utilisation plus large, bien qu’elles n’aient pas encore été validées dans toutes les populations [Lloyd-Jones 2019].

Ces équations ne sont pour l’instant disponibles que sous format tabulaire, les calculateurs en ligne étant toujours en développement :
— Risque cardiovasculaire à 10 ans (Framingham)
— Risque cardiovasculaire à 30 ans (Framingham)

3.2 Pooled Cohort ASCVD Risk Equation

En 2013, l’American Heart Association (AHA) a introduit une nouvelle équation, la Pooled Cohort ASCVD Risk Equation, pour mieux refléter la diversité ethnique des États-Unis. Ce modèle utilise des données provenant de plusieurs cohortes représentatives et inclut des variables comme l’âge, le cholestérol total et HDL, la pression artérielle systolique, le statut de diabète et de fumeur [Goff 2014].

Bien que ce modèle soit recommandé pour estimer le risque à 10 ans de maladies cardiovasculaires athéroscléreuses, il a été critiqué pour une surestimation du risque dans certaines cohortes. L’AHA suggère que cette surestimation résulte de l’inclusion de patients traités par statines, réduisant ainsi les événements observés par rapport aux prédictions [30]. L’AHA recommande actuellement de recourir à l’équation PREVENT (voir ci-dessous).

3.3 QRISK3

QRISK3 est un modèle britannique de prédiction du risque qui prend en compte des facteurs de risque traditionnels (âge, pression artérielle systolique, tabac, cholestérol total/HDL) et des facteurs additionnels (ethnicité, variabilité tensionnelle, maladies chroniques, traitements en cours). Il est dérivé de la base de données QResearch, couvrant plus de 10 millions d’individus [Hippisley-Cox 2008].

Ce modèle montre une forte précision prédictive et est recommandé par le NICE? britannique pour évaluer le risque cardiovasculaire dans la population générale. Il permet une estimation individualisée du risque sur toute la durée de vie et semble raisonnablement applicable à d’autres contextes européens similaires, malgré des différences dans les données sociales ou géographiques [Hippisley-Cox 2008].
QRISK3 est accessible sur le site web dédié

Figure 6 : Risque observé (gris) vers risque prédit (bleu) par QRISK3 dans les tranches d’âge 40-59 et 60-84 ans

Figure 7 : Exemple de calculs donnés par QRISK3

3.4 SCORE2, SCORE2-OP et SCORE2-Diabète

SCORE2 et SCORE2-Diabète sont des systèmes de quantification du risque cardiovasculaire conçus pour offrir une évaluation plus précise et contextuelle du risque d’événements cardiovasculaires dans les populations européennes. Ces modèles ont été développés pour répondre aux limitations des outils de prédiction de risque antérieurs, tels que SCORE, qui était fondé sur des données plus anciennes et ne tenait pas compte des changements épidémiologiques récents, des avancées en matière de traitement, et de la diversité des risques à travers l’Europe.

SCORE2 a été mis au point pour prédire le risque à 10 ans d’un premier événement cardiovasculaire (CV), à la fois mortel et non mortel, dans des populations européennes de personnes sans antécédent cardiovasculaire. Contrairement à son prédécesseur, SCORE2 utilise des données contemporaines issues de plus de 50 cohortes prospectives représentant 13 millions de personnes, et a enregistré environ 60 000 événements cardiovasculaires au cours de la période de suivi. Ce modèle intègre des multiplicateurs régionaux spécifiques au sexe et à l’âge pour convertir les taux de mortalité CV en taux d’incidence?, ajustant ainsi la stratification du risque pour quatre régions européennes ayant des niveaux de risque cardiovasculaire différents (faible, modéré, élevé, très élevé) [SCORE2].

L’algorithme SCORE2 surmonte les limites des anciens modèles en incluant les événements non mortels, ce qui permet une évaluation plus complète de la charge totale de morbidité cardiovasculaire, en particulier chez les personnes plus jeunes où la prévalence? d’événements non mortels est plus importante. SCORE2 fournit également une meilleure précision dans la prédiction des risques chez les adultes plus âgés (plus de 65 ans) via un modèle spécifique appelé SCORE2-Older Persons (SCORE2-OP). Ce dernier prend en compte les risques concurrents de mortalité non cardiovasculaire et les interactions complexes entre l’âge et les facteurs de risque, permettant ainsi une prédiction plus nuancée du risque pour les personnes âgées [SCORE2 2021].

SCORE2-Diabète (ou SCORE 2D) est une variante du modèle SCORE2 spécifiquement calibrée pour les patients atteints de diabète de type 2. Ce modèle est essentiel car les patients diabétiques présentent un profil de risque cardiovasculaire significativement différent par rapport aux populations non diabétiques. SCORE2-Diabète a été développé pour mieux refléter les particularités de cette population, intégrant des données sur la gestion de la glycémie, la présence de complications rénales et d’autres facteurs spécifiques au diabète qui influencent le risque de maladie cardiovasculaire. La mise en œuvre de SCORE2-Diabète permet de guider plus précisément les décisions cliniques et les stratégies de prévention dans ce groupe à risque élevé [SCORE 2D 2023].

Figure 8 : Niveau de risque CV par pays en Europe. La nouveauté vient de ce que certains pays méditerranéens classiquement classés comme à faible risque (Grèce, Italie, Portugal) ont modifié leur épidémiologie vers un risque intermédiaire. Inversement tous les pays de la façade Ouest de l’Europe (France incluse, Portugal et Irlande excepté) sont désormais en risque faible, ce qui pour certains pays (UK, Benelux) est le résultats d’une politique aggressive de santé publique qui semble porter ses fruits. Noter que la plupart des pays de l’ex bloc soviétique et tout le magreb sont classés comme à risque très élevé.

Figure 9 : Expression en tables colorimétriques du score de risque européen SCORE2. Des tables différentes sont proposées pour les pays à faible risque (dont la France) et les pays à risque élevé. Ci-dessous, exemples d’un pays à faible risque (A) et d’un pays à risque très élevé (D), noter les variations du risque à facteurs de risque indentiques selon les régions.

3.5 PREVENT : Le nouveau Calculateur de Risque Cardiovasculaire de l’AHA

Le modèle PREVENT de l’American Heart Association (AHA), introduit en 2023, représente une mise à jour substantielle du calculateur de risque cardiovasculaire pour tous les adultes âgés de 30 à 79 ans sans antécédents de maladies cardiovasculaires. Ce nouvel outil a été développé à partir de données récentes et plus diversifiées, comprenant environ 6,6 millions d’individus issus de 46 ensembles de données, incluant à la fois des études de population et des registres électroniques de santé [30].
Contrairement aux équations de risque précédentes, telles que les Pooled Cohort Equations (PCE) de 2013, PREVENT prend en compte une gamme plus large de facteurs de risque, notamment les maladies rénales et métaboliques, les déterminants sociaux de la santé, et des marqueurs spécifiques tels que le rapport albumine/créatinine urinaire (RAC?), qui n’étaient pas inclus dans les modèles antérieurs [Khan 2023].

PREVENT introduit plusieurs nouveautés significatives dans l’évaluation du risque cardiovasculaire :
— Intégration des Facteurs de Risque Métaboliques et Rénaux : PREVENT est le premier calculateur à inclure explicitement le risque d’insuffisance cardiaque en plus des maladies cardiovasculaires athéroscléreuses (ASCVD). Ce changement est crucial car il permet une estimation plus holistique du risque cardiovasculaire, particulièrement pertinente pour les patients atteints de diabète et de maladies rénales, qui présentent un risque élevé de développer une insuffisance cardiaque.
— Suppression de la variable « Race » : Contrairement aux modèles précédents qui utilisaient la race comme variable de risque, PREVENT adopte une approche plus inclusive en intégrant des déterminants sociaux de la santé mesurés par l’indice de privation sociale basé sur le code postal des patients. Cela vise à réduire les inégalités de traitement et à améliorer l’applicabilité du modèle à des populations diversifiées.
— Expansion des Horizons Temporels de Risque : Le calculateur PREVENT permet d’estimer les risques cardiovasculaires non seulement sur un horizon de 10 ans mais aussi sur 30 ans, fournissant ainsi une perspective plus longue qui est particulièrement utile pour le conseil préventif chez les jeunes adultes. Cette expansion permet aux cliniciens de discuter plus tôt et plus en profondeur des risques et des interventions potentielles avec leurs patients, contribuant ainsi à une meilleure prévention.
— Impact sur la Pratique Clinique : Le calculateur PREVENT est conçu pour être intégré dans les systèmes de dossiers médicaux électroniques, ce qui facilitera son adoption en pratique clinique. En utilisant des données plus récentes et diversifiées, il améliore la précision des estimations de risque et devrait renforcer la confiance des cliniciens dans les résultats obtenus. En conséquence, PREVENT pourrait devenir la norme de pratique dans les prochaines années, remplaçant les équations PCE actuelles et influençant de nouvelles directives cliniques de l’AHA et de l’American College of Cardiology à partir de 2024 [Khan 2023, Khan 2024].
— L’outil PREVENT ouvre également de nouvelles avenues de recherche pour affiner encore les modèles prédictifs, notamment en explorant des déterminants sociaux de santé plus précis, des biomarqueurs émergents, et des approches intégrées pour évaluer le risque cardiovasculaire de manière plus holistique. Cela inclut des essais cliniques pour valider l’efficacité des nouvelles thérapies cardiovasculaires et pour identifier les seuils de risque où chaque thérapie cardiaque offre un bénéfice net maximal [Khan 2024].

Figure 10 : Risque d’événement cardiovasculaire à 10 ans chez l’homme Selon une combinaison spécifique d’âge, diabète, maladie rénale chronique, tabagisme, pression artérielle systolique et cholestérol (PREVENT, 2023).

En conclusion, les modèles de prédiction cardiovasculaire continuent d’évoluer pour mieux refléter les risques réels observés en pratique clinique. Ainsi, SCORE2, SCORE2-Diabète et PREVENT représentent des avancées majeures dans l’évaluation du risque cardiovasculaire, offrant des outils plus précis et plus personnalisés pour la prévention primaire et secondaire. Ces nouveaux modèles devraient transformer la pratique clinique en rendant les estimations de risque plus accessibles, nuancées et pertinentes pour une gamme plus large de patients.

Ainsi, la tendance actuelle en cardiologie est de s’éloigner des catégories rigides de risque et d’adopter une évaluation du risque plus continue et personnalisée, tenant compte des spécificités individuelles et de la multiplicité des facteurs de risque.

4. Limites Générales des Équations de Risque

Les limitations des équations de risque cardiovasculaire sont principalement épidémiologiques et méthodologiques. Les modèles de Framingham ou ASCVD, élaborés à partir de populations anglo-américaines, peuvent ne pas être directement extrapolables à d’autres contextes, comme la France, en raison des variations régionales de la mortalité cardiovasculaire et des facteurs de risque au fil du temps. Néanmoins, les facteurs de risque conservent des effets multiplicateurs similaires sur le risque global, indépendamment des différences géographiques, permettant une extrapolation prudente de certains résultats (portabilité du modèle) [Lloyd-Jones 2019].

Les équations de SCORE2, quant à elles, sont calibrées pour des zones géographiques spécifiques en Europe, tenant compte des caractéristiques génétiques et environnementales locales. Par exemple, la France est classée comme à « faible » risque, contrairement aux pays de l’Est de l’Europe où le risque est plus élevé. Ces modèles, bien que plus adaptés, peuvent encore manquer de précision dans les contextes où les données sont rares ou les profils de risque diffèrent considérablement [SCORE2 2021].

Les modèles plus ancients intègraient un nombre limité de variables. Les équations plus récentes incluent en revanche des paramètres sociaux-démographiques, métaboliques et rénaux qui peuvent apporter des précisions supplémentaires.
Enfin, une limitation conceptuelle des équations de prédiction de risque doit être rappelée. Les équations n’indiquent qu’un risque moyen pour un groupe de sujets présentant les mêmes caractéristiques que l’individu concerné. La prédiction individuelle n’existe pas et l’on devrait plutôt parler de prédiction individualisée [Lloyd-Jones 2019].

5. Utilité Pratique de l’Estimation du Risque

L’estimation du risque cardiovasculaire sert principalement à guider les décisions thérapeutiques. En évaluant le risque global, il devient possible de déterminer le bénéfice absolu attendu d’une intervention, comme le traitement antihypertenseur ou hypocholestérolémiant, et de calculer le nombre de patients nécessaires à traiter (NST?) pour éviter un événement sur une période donnée. Ces estimations, basées sur des méta-analyses?, montrent que les traitements antihypertenseurs diminuent de 35 % le risque d’AVC? et de 15 % celui de syndrome coronarien aigu [Collins 2003].

Par exemple, dans une population à haut risque (20 % à 5 ans), un traitement antihypertenseur réduit le risque absolu d’AVC de 7 %, nécessitant de traiter 14 patients pour prévenir un AVC sur 5 ans. Cette approche permet de rationaliser l’utilisation des ressources et d’améliorer la prise de décision clinique [Lloyd-Jones 2019].

5.1 Risque "Idéal" et Excès de Risque

Les équations de risque accordent un rôle significatif à l’âge, ce qui peut biaiser les recommandations thérapeutiques, favorisant les interventions chez les personnes âgées tout en négligeant les sujets plus jeunes. Les jeunes, même avec des facteurs de risque élevés, ont souvent un risque absolu faible à court terme, ce qui complique les stratégies de prévention précoce. En revanche, chez les personnes âgées, les seuils de risque doivent être ajustés pour éviter la surmédication.

Pour réduire ces biais, les notions de "risque absolu idéal" et d’"excès de risque" sont utilisées pour comparer le risque d’une personne avec celui d’une personne de même âge et sexe ayant des paramètres "idéaux". Cela aide à motiver les jeunes avec un risque relatif élevé à adopter des comportements de réduction de risque.

Figure 15 : Table de risque relatif pour faciliter l’explication du risque relatif chez les individus jeunes

5.2 Intervention basée sur le risque principal

La prise en compte du risque global et notamment du risque principal, peut modifier l’attitude thérapeutique vis-à-vis d’une intervention. Prenons à titre d’exemple, un patient ayant déjà fait un infarctus du myocarde et restant hypertendu alors que son taux de cholestérol est normal haut. L’approche thérapeutique suivant le mode de raisonnement classique serait de lui prescrire un traitement antihypertenseur.

Cependant, chez ce patient essentiellement menacé de récidive d’infarctus et de mort subite coronarienne, le bénéfice attendu du traitement antihypertenseur sur le risque de récidive ne sera "que" de - 15 %. En revanche, l’administration d’une statine, alors même que le taux de cholestérol est normal, permettra de réduire son risque coronarien de - 40 %. Cet individu devrait donc bénéficier davantage d’une statine que d’un traitement antihypertenseur (Ménard 1995). Une telle intervention thérapeutique n’aurait pas été prise en compte sur les critères classiques de prise en charge mais apparaît légitime en cas de prise en compte du risque global.

5.3 Risque et nombre de sujets à traiter

Une intervention thérapeutique peut modifier le risque initial, à la fois relatif et absolu. C’est la réduction du risque absolu (RRA?) qui est importante en clinique et non pas seulement la réduction du risque relatif (RRR?) souvent utilisée pour présenter les résultats des essais cliniques. Une intervention avec une réduction importante du risque relatif n’apporte que peu de bénéfice clinique si le risque absolu initial est faible.

Le bénéfice d’une intervention peut être exprimé sous la forme du nombre de sujets à traiter (NST) pour éviter un évènement pendant une période d’observation donnée. Le nombre de sujets à traiter se calcule comme l’inverse de la réduction du risque absolu (NST = 100/RRA) (Laupacis 1988, Chatelier 1996).
Par exemple, un traitement par statine réduit de 40 % le risque relatif de récidive d’infarctus dans une population à haut risque (RRR), soit une réduction de 10 % du risque absolu à 5 ans (RRA). Ceci signifie qu’il faut traiter 10 patients (100/10) pendant 5 ans pour éviter une récidive d’infarctus (NST 10 à 5 ans).

L’avantage de ce mode d’expression est qu’il prend en compte à la fois le niveau de risque initial et l’amplitude de l’effet lié à l’intervention. Par ailleurs, ce mode d’expression est plus facilement comparable d’une étude à l’autre, à condition que le calcul soit fait sur le même intervalle de temps, et il est plus facilement perceptible par le praticien.

5.5 Risque et recommandations

Les nouvelles recommandations suggèrent d’adopter une approche basée sur le risque global pour toutes les interventions cardiovasculaires, bien que les seuils d’intervention restent controversés. Ajuster ces seuils pourrait avoir d’importantes répercussions économiques et cliniques, affectant potentiellement jusqu’à 25 % de la population pour une prévention primaire élargie, comme l’illustre le cas britannique [Robson 2000].

Les études récentes recommandent d’élargir l’utilisation des modèles de risque, comme PREVENT, qui intègre des facteurs de risque métaboliques et sociaux, améliorant ainsi la précision et l’équité des prédictions. L’intégration de ces outils dans les dossiers médicaux électroniques est encouragée pour faciliter leur adoption en pratique clinique [Khan 2024].

6. Conclusions

Les directives de 2023 mettent en avant une approche plus holistique de l’évaluation du risque cardiovasculaire, qui combine des éléments de risque traditionnel avec des facteurs de risque émergents tels que les déterminants sociaux de la santé et les comorbidités associées, comme les maladies rénales et métaboliques.

Les nouvelles recommandations de la European Society of Hypertension (ESH) de 2023 introduisent des outils de calcul de risque plus précis et plus adaptés à la diversité des populations européennes, comme SCORE2 et SCORE2-OP. Ces outils permettent une meilleure évaluation du risque cardiovasculaire chez les individus, notamment en intégrant des facteurs de risque spécifiques aux personnes âgées et aux diabétiques.

Le calculateur de risque PREVENT de l’AHA représente une évolution majeure en offrant des estimations plus précises et personnalisées des risques cardiovasculaires sur des horizons de 10 et 30 ans. Il est attendu que ces modèles soient intégrés dans les systèmes de dossiers médicaux électroniques et deviennent la norme dans les prochaines années.

De même, l’utilisation de méthodes de communication des risques améliorées est essentielle pour optimiser la prise de décision partagée entre les cliniciens et les patients, en particulier dans un contexte de prévention primaire et secondaire.

Les recommandations insistent sur l’importance d’une approche continue du risque, tenant compte de l’ensemble des facteurs de risque au lieu de se concentrer sur des seuils arbitraires. Cette approche reflète la complexité du risque cardiovasculaire et l’évolution des pratiques cliniques vers des interventions plus personnalisées.

 
 

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