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Mise à jour : 7 septembre 2024 - Mise en ligne : 11 juin 2025, par Thierry HANNEDOUCHE
 
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L’HTA? maligne est actuellement définie comme un syndrome d’élévation sévère de la pression artérielle, souvent associé à des dommages aigus des organes cibles, notamment une rétinopathie hypertensive de stade 3 ou 4 (classification de Keith, Wagener et Barker). Les manifestations peuvent inclure une atteinte cérébrale, rénale, cardiaque et vasculaire, reflétant un échec de l’autorégulation vasculaire centrale et périphérique. D’après les recommandations de 2024, le terme "HTA avec atteinte multi-organes aiguë" est préféré à celui de "HTA maligne", mettant l’accent sur la diversité des organes touchés par cette urgence hypertensive [Cohen 2024 ; ESC? 2024].

Historiquement, Volhard et Fahr ont décrit cette entité pour la première fois en 1914. Avant l’ère des traitements antihypertenseurs, l’HTA maligne était associée à un taux de mortalité de 99 % à 5 ans, d’où son caractère "malin". Aujourd’hui, bien que l’incidence? de cette condition ait diminué (moins de 1 % des cas d’HTA), elle reste une urgence hypertensive potentiellement mortelle si elle n’est pas traitée rapidement. Selon les nouvelles données épidémiologiques, elle touche principalement les jeunes adultes, en particulier les hommes, les fumeurs, et ceux d’origine africaine, souvent après une longue période d’HTA sévère non contrôlée ou négligée [Boulestreau 2024].

1. Physiopathologie : L’autorégulation circulatoire et ses conséquences dans le traitement de l’HTA maligne et des urgences hypertensives

L’autorégulation permet aux tissus de maintenir une perfusion stable malgré les fluctuations de la pression artérielle systémique. En cas d’HTA chronique, ce mécanisme se déplace vers des niveaux plus élevés de pression, protégeant les vaisseaux des variations brusques. Toutefois, dans l’HTA maligne, cette autorégulation peut échouer, entraînant une nécrose fibrinoïde des artérioles, notamment dans le cerveau, les reins et le cœur. L’œdème cérébral et l’encéphalopathie hypertensive sont des complications fréquentes de cet échec.

Les lignes directrices de 2024 insistent sur l’importance de réduire la pression artérielle de manière progressive et contrôlée, généralement pas plus de 25 % des valeurs de base, pour éviter les complications ischémiques dues à un dépassement du seuil d’autorégulation. La rapidité de la baisse de pression est particulièrement critique chez les patients présentant une HTA ancienne ou une maladie cérébrovasculaire [ESC 2024].

En cas d’HTA extrêmement sévère, l’autorégulation peut céder sous la pression excessive, causant des dommages à l’endothélium et des vaisseaux, et menant à l’œdème cérébral ou à l’insuffisance rénale aiguë. Le seuil de pression diastolique est souvent supérieur à 130 mmHg dans les formes classiques d’HTA maligne, mais des cas d’encéphalopathie hypertensive peuvent survenir à des niveaux plus bas, notamment lors de crises aiguës comme l’éclampsie ou la glomérulonéphrite aiguë [Boulestreau 2022].

Figure 1 : Courbe d’autorégulation cérébrale (débit vs. pression)

2. Présentation clinique

2.1. L’hypertension artérielle est manométriquement sévère, avec des pressions artérielles diastoliques variant de 100 à 180 mmHg et des pressions systoliques de 150 à 290 mmHg. Une hypertension artérielle préexistante est souvent présente, bien que non systématique. Selon les lignes directrices actuelles, ce n’est pas seulement la gravité des valeurs de pression artérielle qui définit la sévérité de l’HTA, mais aussi la rapidité avec laquelle ces valeurs augmentent, ce qui entraîne un impact considérable sur les organes cibles [Cohen 2024 ; ESC 2024].

2.2. La neurorétinopathie hypertensive dans l’HTA maligne se manifeste par des hémorragies rétiniennes, des exsudats ou un œdème papillaire, généralement bilatéral. Ces manifestations sont essentielles au diagnostic d’HTA maligne et sont étroitement liées aux lésions histopathologiques des autres organes, en particulier les reins. Les exsudats cotonneux sont des indicateurs importants d’une vasculopathie hypertensive avancée et leur présence est associée à un pronostic défavorable similaire à celui de l’œdème papillaire [ESC 2024].

Les hémorragies en flammèche sont souvent disposées radialement autour du disque optique et résultent d’une nécrose des parois des capillaires. Les exsudats secs traduisent l’extravasation de protéines plasmatiques dans la rétine postérieure, tandis que les exsudats cotonneux reflètent des micro-infarctus des fibres nerveuses, typiques de l’HTA maligne. L’œdème papillaire, souvent accompagné d’hémorragies et d’exsudats, pourrait être le signe d’une ischémie diffuse des fibres nerveuses du disque optique. En l’absence d’hémorragies, un processus expansif intracrânien doit être suspecté.

Figure 2 : HTA maligne : Rétinopathie hypertensive de stade 3 avec hémorragies en flammèche, exsudats cotonneux et flou des bords du disque optique. Œdème papillaire présent.

Figure 3 : HTA maligne : Rétinopathie hypertensive de stade 4 avec œdème papillaire. Disque optique œdématié aux contours flous.

2.3. Les signes neurologiques tels que céphalée intense et flou visuel sont fréquents et peuvent varier selon les patients. Ces symptômes peuvent indiquer des infarctus lacunaires, une hémorragie intracérébrale ou encore une encéphalopathie hypertensive, nécessitant une évaluation approfondie pour déterminer l’origine exacte de ces manifestations cliniques.

2.4. Une insuffisance cardiaque gauche avec œdème pulmonaire survient chez environ 10 % des patients atteints d’HTA maligne. Cela peut être attribué à une surcharge de pression ou de volume. L’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) est fréquente, touchant environ 80 % des patients, bien qu’elle puisse être absente dans les cas d’installation récente de l’HTA.

2.5. L’HTA maligne associée à des signes rénaux définit la “néphroangiosclérose maligne”, caractérisée par une insuffisance rénale rapidement progressive et une albuminurie. Environ 30 % des patients présentent une créatinine plasmatique supérieure à 200 µmol/l à la présentation, et une albuminurie de rang néphrotique doit soulever la suspicion d’une néphropathie sous-jacente. Les lésions histologiques rénales typiques incluent une nécrose fibrinoïde et une endartérite proliférative, menant à une ischémie glomérulaire et à l’activation du système rénine-angiotensine, exacerbant ainsi l’hypertension.

Figure 4 : Aspect macroscopique des reins au cours d’une NAS maligne. Notez l’œdème rénal et les pétéchies hémorragiques du cortex ("rein moucheté").

Figure 5 : Aspect microscopique des reins au cours d’une NAS maligne. Rétrécissement quasi-occlusif de l’artériole afférente entraînant une ischémie du glomérule d’aval.

Figure 6 : Nécrose fibrinoïde de l’artériole afférente entraînant une occlusion complète et une ischémie glomérulaire.

Figure 7 : Nécrose fibrinoïde (colorée en orange) de la paroi de l’artériole afférente dans une NAS maligne.

2.6. Une anémie hémolytique microangiopathique avec thrombopénie modérée et élévation des LDH est observée dans environ 20 % des cas d’HTA maligne, particulièrement chez les patients présentant une insuffisance rénale sévère. Cette anémie est parfois associée à des mutations des protéines régulatrices du complément, favorisant l’apparition de microangiopathies thrombotiques secondaires à l’HTA maligne. Ces mutations devraient être recherchées chez les patients dont les symptômes ne s’améliorent pas rapidement après la normalisation de la pression artérielle.

Enfin, une hypokaliémie avec alcalose métabolique peut survenir en raison de la déplétion volémique et de l’hyperaldostéronisme secondaire, souvent observés avant l’évolution vers une HTA maligne. La plupart des patients présentent un hyperréninisme avec hyperaldostéronisme secondaire, sauf dans les formes d’HTA maligne associées à une insuffisance rénale avancée, où l’hypervolémie est plus fréquente.

2.7. L’évolution spontanée

L’évolution spontanée de l’HTA maligne en l’absence de traitement est extrêmement grave, ce qui justifie la dénomination de cette affection comme "maligne". Avant l’avènement des traitements modernes, la mortalité à 5 ans atteignait 99 %. Grâce aux progrès des traitements antihypertenseurs et à l’introduction de la dialyse rénale, la mortalité liée à l’HTA maligne a été considérablement réduite à moins de 25 % à 5 ans [ESC 2024]. Les facteurs de mauvais pronostic incluent le non-suivi thérapeutique, la persistance d’une insuffisance rénale sévère, notamment en cas de nécessité de dialyse. La mortalité est principalement due à l’insuffisance cardiaque (œdème pulmonaire), à l’encéphalopathie hypertensive, aux accidents vasculaires cérébraux, ainsi qu’aux complications rénales.

2.8. HTA maligne vs. encéphalopathie hypertensive

L’encéphalopathie hypertensive est une complication grave de l’HTA maligne, survenant dans environ 15 % des cas. Elle résulte d’un œdème cérébral secondaire à une élévation brutale de la pression artérielle, dépassant les capacités d’autorégulation cérébrale. Toutefois, elle peut aussi se produire en dehors du contexte de l’HTA maligne, comme dans les cas d’HTA aiguë associée à une insuffisance rénale ou à une hypervolémie, par exemple dans le cadre d’un syndrome néphritique aigu ou d’une prééclampsie. Dans ces cas, la montée rapide de la pression artérielle chez des individus normotendus est la cause principale des symptômes neurologiques.

L’encéphalopathie hypertensive se manifeste par des céphalées intenses, des nausées, des vomissements en jet, une confusion, des troubles visuels, et, dans les cas plus graves, des convulsions généralisées et un coma. Le diagnostic différentiel avec un AVC ischémique ou hémorragique est crucial, car ces derniers nécessitent une prise en charge thérapeutique différente. L’imagerie cérébrale, par scanner ou IRM, est donc indispensable. L’œdème cérébral prédomine généralement dans les régions postérieures du cerveau, provoquant des lésions caractéristiques de leucoencéphalopathie postérieure réversible (syndrome de PRES) [ESC 2024].

L’encéphalopathie hypertensive nécessite un traitement antihypertenseur urgent et parentéral. L’objectif initial est de réduire la pression artérielle moyenne (PAM) de 25 % en 30 minutes, suivi d’une réduction progressive vers 160/100 mmHg en 2 à 6 heures. Ces cibles ne peuvent être atteintes de manière sécurisée qu’avec des antihypertenseurs IV administrés sous surveillance stricte, certains experts recommandant également la surveillance simultanée de la pression intracrânienne pour une prise en charge optimale [Cohen 2024].

Figure 8 : Œdème cérébral au cours d’une encéphalopathie hypertensive sur une IRM (séquence T1). L’œdème cérébral s’associe souvent à des lésions bilatérales, mais non symétriques, du cortex pariétal postérieur, traduisant des lésions de PRES.

3. Traitement de l’HTA maligne

"Le traitement de l’hypertension artérielle maligne est une urgence médicale."

L’hospitalisation en unité de soins intensifs spécialisée est indispensable pour permettre une surveillance étroite de la pression artérielle, parfois avec une mesure invasive par voie intra-artérielle, ainsi qu’un contrôle de l’HTA par l’administration de médicaments parentéraux.

3.1. CAT initiale

Le traitement antihypertenseur parentéral est fondamental car il est le seul capable de : (1) fournir une efficacité rapide et constante, et (2) permettre un ajustement précis de la réponse hypotensive via une perfusion titrée de médicaments à courte durée d’action.

Ce traitement peut être complété par des thérapies symptomatiques, telles que des anticonvulsivants, des échanges plasmatiques (en cas de microangiopathie thrombotique), ou des glucocorticoïdes (en cas de vascularite). Il est essentiel que la prise en charge de la cause sous-jacente soit entreprise en parallèle [ESC 2024 ; Cohen 2024].

Les agents de première ligne comprennent le nitroprussiate de sodium IV et la nicardipine IV. Ces vasodilatateurs artériolaires, tout en étant efficaces, peuvent cependant aggraver un œdème cérébral existant. En alternative, des médicaments adrénolytiques parentéraux tels que le labétalol, l’urapidil, ou la phentolamine peuvent être utilisés, en fonction de l’étiologie de l’HTA maligne.

Les diurétiques ne sont pas systématiquement recommandés car ils peuvent exacerber l’hypovolémie souvent présente chez ces patients. Dans certains cas, une réhydratation prudente avec un soluté salé isotonique peut être envisagée pour restaurer la perfusion tissulaire. Toutefois, chez les patients souffrant de néphropathie primitive avec insuffisance rénale, l’HTA maligne est souvent associée à une surcharge hydrosodée, nécessitant l’administration de diurétiques de l’anse ou même de l’hémodialyse.

L’objectif initial est de réduire la pression artérielle de 25 % sur une période de 2 à 6 heures, suivi d’une diminution graduelle de la pression artérielle diastolique (PAD) à 100-105 mmHg en 24 heures. En cas de complications aiguës, telles que l’encéphalopathie hypertensive, l’œdème aigu pulmonaire, le syndrome coronarien aigu ou la dissection aortique, une réduction plus rapide peut être nécessaire [ESC 2024]. Un contrôle strict avec administration parentérale sous débit contrôlé est nécessaire pour éviter une hypoperfusion tissulaire, particulièrement chez les patients avec une HTA chronique sévère.

3.2. A distance...

Lorsque la pression artérielle est stabilisée, un traitement oral de relais est introduit pour normaliser progressivement la PA diastolique à 85-90 mmHg en quelques semaines. Une baisse rapide de la pression artérielle peut entraîner une aggravation temporaire de la fonction rénale, suivie d’une amélioration après plusieurs mois de traitement efficace, reflétant la guérison des lésions vasculaires nécrosantes.

Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) sont souvent responsables de cette détérioration initiale, mais sauf en cas d’hypotension sévère ou de sténoses bilatérales des artères rénales, cette aggravation fonctionnelle ne doit pas inciter à interrompre le traitement. Les IEC sont associés à une meilleure récupération de la fonction rénale à long terme, particulièrement chez les patients maintenus sous traitement strictement normotendu [Boulestreau 2024].

Actuellement, grâce aux traitements antihypertenseurs puissants, la survie à 1 an est estimée à 75-85 %, et à 60-75 % à 5 ans. Néanmoins, certaines lésions vasculaires irréversibles laissent les patients exposés à un risque résiduel élevé de maladies coronariennes, cérébrovasculaires et rénales. La présence d’une insuffisance rénale avec une créatininémie supérieure à 250 µmol/l est un facteur de mauvais pronostic majeur, influençant tant la survie que la récupération rénale.

À plus long terme, certains patients initialement dialysés peuvent cesser la dialyse, à condition de maintenir un contrôle strict de la pression artérielle avec des IEC pendant au moins 6 mois. Cette amélioration tardive est observée chez environ 25 % des patients initialement dialysés, soulignant l’importance d’un traitement antihypertenseur prolongé et rigoureux [ESC 2024].

4. Étiologie des HTA malignes

L’HTA maligne peut compliquer une hypertension artérielle (HTA) essentielle ou secondaire.

Les sujets noirs d’origine africaine représentent plus de la moitié des cas d’HTA maligne, tant en Amérique du Nord qu’en Europe. Chez ces patients, l’HTA maligne est souvent la conséquence d’une HTA essentielle mal contrôlée, évoluant sur plusieurs semaines ou mois, généralement chez des patients ayant interrompu leur traitement antihypertenseur. Dans les séries récentes, plus de la moitié des patients présentaient une HTA ancienne connue, et 80 % montraient des signes d’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) à l’électrocardiogramme lors de la présentation initiale, suggérant une HTA préexistante [ESC 2024].

Chez les sujets blancs, l’HTA maligne est souvent secondaire à une pathologie sous-jacente, principalement rénale. Entre 50 % et 75 % des cas sont dus à une néphropathie sous-jacente, qu’elle soit glomérulaire, interstitielle, ou vasculaire. Les causes incluent des néphropathies glomérulaires chroniques (comme la néphropathie à dépôts mésangiaux d’IgA), des néphropathies interstitielles (comme la néphropathie de reflux), ainsi que des maladies vasculaires telles que la polyartérite noueuse ou la sclérodermie. De plus, la sténose artérielle rénale athéromateuse est une cause fréquente chez les sujets âgés, et doit toujours être suspectée.

4.1. HTA maligne des néphropathies glomérulaires

L’HTA maligne secondaire à une néphropathie glomérulaire se caractérise souvent par un tableau clinique particulier et des conséquences thérapeutiques distinctes. Elle est fréquemment associée à un syndrome néphritique aigu, comme dans les glomérulonéphrites post-infectieuses ou les formes "malignes" de néphropathie à dépôts d’IgA. L’hypervolémie joue un rôle central dans la manifestation clinique, provoquant des œdèmes viscéraux, notamment pulmonaires et cérébraux, nécessitant parfois une déplétion sodée avec des diurétiques de l’anse ou une hémodialyse en urgence [Boulestreau 2024].

La prééclampsie, complication de la grossesse, présente des similarités avec l’HTA maligne glomérulaire, se manifestant par une HTA et des crises convulsives dues à un œdème cérébral secondaire à une rétention sodée brutale.

Lorsque l’insuffisance rénale est présente, il peut être difficile de distinguer les effets d’une néphropathie sous-jacente de ceux de la néphroangiosclérose maligne. Dans de tels cas, une biopsie rénale et une exploration par imagerie des artères rénales peuvent être nécessaires une fois l’épisode aigu passé.

4.2 Hypertension Maligne et Microangiopathie Thrombotique, une relation bidirectionnelle ?

La relation entre l’hypertension maligne (HTM) et la microangiopathie thrombotique (MAT) suscite un intérêt croissant, notamment quant à l’implication du système du complément. Ces deux conditions graves sont fréquemment associées à des dommages organiques, en particulier au niveau des reins, du cerveau et des yeux. L’HTM est définie par une élévation sévère de la pression artérielle (> 180/120 mmHg), entraînant des lésions vasculaires telles que la nécrose fibrinoïde des artérioles et une ischémie. La MAT, caractérisée par une anémie hémolytique, une thrombocytopénie et des microthrombi dans les petits vaisseaux, est parfois associée à l’HTM, bien que cela soit relativement rare [Cavero 2019, Fakhouri 2020].

Dans l’HTM, le stress mécanique sur l’endothélium vasculaire peut entraîner une MAT dans environ 5 % des cas, avec des dommages microvasculaires observés principalement dans les reins. La plupart des cas d’HTM-MAT sont dus à une hypertension essentielle sévère ou à une maladie rénale chronique préexistante. Cependant, chez certains patients, la MAT pourrait résulter d’une activation anormale du système du complément, ce qui soulève la question de savoir si ces cas devraient être considérés comme des syndromes hémolytiques et urémiques atypiques (SHUa), qui nécessitent des traitements spécifiques tels que l’eculizumab, un inhibiteur du complément [Fakhouri 2020, Zhang 2021].

Le système du complément joue un rôle clé dans l’immunité innée et peut être activé par trois voies : classique, des lectines, et alternative. Dans le SHUa, des mutations dans les régulateurs du complément provoquent une activation incontrôlée de la voie alternative, conduisant à des lésions endothéliales sévères et à la formation de thrombi dans les petits vaisseaux. Des études récentes ont montré que des patients atteints d’HTM présentent des dépôts de C5b-9 dans les parois des capillaires et des artères rénales, un marqueur classique de l’activation terminale du complément. Cependant, l’importance de ces dépôts reste controversée : sont-ils simplement le reflet d’une capture passive dans les tissus endommagés ou indiquent-ils une activation pathologique en cours du complément ?

Des études indiquent que l’activation du complément pourrait être secondaire à des dommages vasculaires causés par une hypertension sévère, plutôt que le résultat d’une dérégulation primaire du complément. Néanmoins, chez un petit pourcentage de patients atteints d’HTM avec MAT, des anomalies génétiques des composants du complément ont été identifiées, suggérant que dans ces cas, l’activation du complément pourrait contribuer directement à la pathogénie.

La différenciation entre une MAT induite par l’HTM et une MAT médiée par le complément, comme dans le SHUa, est essentielle pour déterminer la prise en charge optimale. Dans la MAT induite par l’HTM, la réduction de la pression artérielle reste le traitement principal, tandis que dans le SHUa, une inhibition ciblée du complément avec des agents tels que l’eculizumab est souvent nécessaire. Cette distinction repose souvent sur des facteurs cliniques et pathologiques, ainsi que sur la détection d’anomalies génétiques du complément.

Cependant, tous les patients atteints d’HTM ne présentent pas de mutations du complément. De plus, l’activation du complément peut diminuer après un contrôle adéquat de la pression artérielle, ce qui rend difficile de justifier l’utilisation systématique d’inhibiteurs du complément chez tous les patients atteints d’HTM [Alba Schmidt 2023]. Par conséquent, une approche individualisée est nécessaire, avec une surveillance attentive de l’évolution clinique et des marqueurs d’activation du complément.

4.3 HTA malignes endocriniennes

Certaines causes endocriniennes, bien que plus rares, peuvent également être responsables d’HTA maligne. Parmi celles-ci figurent l’hyperminéralocorticisme, le phéochromocytome, l’intoxication au pastis sans alcool, et l’utilisation de contraceptifs hormonaux. La sévérité de l’HTA dans ces cas est souvent due à la résistance aux traitements conventionnels, en raison des mécanismes hormonaux sous-jacents spécifiques [ESC 2024].

4.4 HTA malignes "toxiques"

Les HTA malignes induites par des syndromes catécholergiques ont été rapportées, notamment dans des contextes de sevrage à la clonidine ou d’intoxication par des substances telles que les amphétamines (MDMA, ecstasy), la phencyclidine ou la cocaïne. La cocaïne, en particulier, est un puissant sympathomimétique, inhibant la recapture de la noradrénaline et de la dopamine, entraînant ainsi une accumulation de ces neurotransmetteurs et provoquant une HTA sévère et des complications cardiovasculaires potentiellement fatales [AHA 2024].

La cocaïne est responsable de nombreux accidents cardiovasculaires, incluant infarctus du myocarde, myocardite, arythmies et dissections aortiques, souvent accompagnés d’une poussée hypertensive. Les intoxications à la cocaïne représentent un cinquième des douleurs thoraciques en milieu urbain nord-américain et sont responsables d’un quart des infarctus avant l’âge de 45 ans [ESC 2024]. Le traitement d’urgence des complications cardiovasculaires liées à la cocaïne inclut les dérivés nitrés, le vérapamil, la phentolamine, ainsi que l’oxygène et les benzodiazépines. Les bêta-bloqueurs doivent être utilisés avec prudence, car ils peuvent exacerber les effets alpha-adrénergiques. Contrairement à l’héroïne, il n’existe pas de traitement substitutif pour la dépendance à la cocaïne.

5. HTA maligne dans les recommandations ESH 2023, ESC 2024

Selon les guidelines ESH 2023, l’urgence hypertensive se définit par une hypertension sévère (généralement de grade 3, avec une pression artérielle systolique ? 180 mmHg ou diastolique ? 120 mmHg) accompagnée de signes d’atteinte aiguë des organes cibles (comme le cerveau, le cœur, les reins ou les yeux), ce qui met en jeu le pronostic vital à court terme. La reconnaissance rapide et l’intervention immédiate avec des antihypertenseurs intraveineux sont indispensables pour éviter des complications graves [ESH 2023, ESC 2024].

L’ESC 2024 met également l’accent sur l’importance non seulement des valeurs absolues de la pression artérielle, mais aussi de la vitesse d’augmentation de celle-ci dans l’apparition des lésions aux organes cibles. Dans ce contexte, l’HTA maligne est considérée comme une forme particulièrement grave d’urgence hypertensive, se caractérisant par une hypertension sévère accompagnée d’anomalies du fond d’œil (hémorragies en flammèche, œdème papillaire), de microangiopathies, voire de coagulopathie intravasculaire disséminée (CIVD). Cette forme est fréquemment associée à une encéphalopathie hypertensive, une insuffisance cardiaque aiguë ou une insuffisance rénale aiguë, avec la présence de nécrose fibrinoïde dans les petites artères des reins, de la rétine et du cerveau [ESC 2024, Boulestreau 2024].

Le traitement de l’HTA maligne, selon les recommandations ESH 2023 et ESC 2024, doit être entrepris avec précaution pour éviter une baisse trop rapide de la pression artérielle, ce qui pourrait entraîner une hypoperfusion des organes cibles déjà compromis. L’objectif initial est de réduire la pression artérielle moyenne de 20 à 25 % au cours des premières heures (2 à 6 heures), suivi d’une réduction plus graduelle pour atteindre des valeurs diastoliques autour de 100-110 mmHg dans les 24 heures suivantes. En cas de complications comme une encéphalopathie hypertensive ou un œdème pulmonaire aigu (OAP), une réduction plus rapide peut être nécessaire pour stabiliser les patients [ESC, 2024].

Les agents de première ligne recommandés pour le traitement initial incluent le labétalol IV, la nicardipine IV, ou l’urapidil IV, tandis que des alternatives comme le nitroprussiate peuvent être envisagées selon les besoins spécifiques du patient. Cependant, le nitroprussiate doit être utilisé avec prudence en raison du risque d’accumulation de cyanures chez certains patients, surtout en cas de traitement prolongé [Boulestreau 2024].

Le système rénine-angiotensine joue un rôle clé dans la physiopathologie de l’HTA maligne, notamment en cas d’insuffisance rénale. Ainsi, bien que les médicaments intraveineux soient préférés pour la gestion aiguë, des agents oraux tels que les IEC, ARA2 ou les bêta-bloqueurs peuvent être progressivement introduits lorsque la situation est stabilisée. Il est crucial de titrer ces médicaments avec précaution, en raison de la réponse souvent excessive de ces patients aux antihypertenseurs oraux, ce qui peut entraîner une hypotension sévère [ESC 2024, Boulestreau 2024]. Ce traitement doit être initié en milieu hospitalier sous surveillance étroite.

Ces nouvelles recommandations permettent une approche plus ciblée et nuancée de la gestion de l’HTA maligne, en tenant compte des spécificités de chaque patient tout en réduisant les risques de complications liés à une baisse trop rapide de la pression artérielle.

 
 

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