GROUPE DE TRAVAIL : Marie Hélène COLSON, Béatrice DULY-BOUHANICK, Eric HUYGHE, Jean-Marc BOIVIN, Jacques BLACHER, Claire MOUNIER-VÉHIER, Eric RUSPINI, Joël JUIS, Thierry DENOLLE, Jean-Pierre FAUVEL
Un chemin clinique a pour but de décrire tous les éléments du processus de prise en charge en suivant le parcours du patient (1). Il vise à planifier, rationaliser et standardiser la prise en charge multidisciplinaire et/ ou multiprofessionnelle de patients présentant un problème de santé comparable. La méthodologie suivie est celle recommandée par la Haute Autorité de Santé. L’élaboration de ce chemin clinique s’appuie :
La démarche à suivre pour dépister, diagnostiquer puis prendre en charge la dysfonction érectile des patients hypertendus est particulièrement bien adaptée à la rédaction d’un chemin clinique car :
La dysfonction érectile (DE) est définie comme l’incapacité persistante ou répétée à obtenir et/ou à maintenir une érection suffisante pour permettre une activité sexuelle satisfaisante. Une durée minimale de ce trouble de six mois, et sa présence dans 75% à 100% des cas sont nécessaires. La dimension de souffrance du patient et/ou de son couple (retentissement psychologique), liée à la dysfonction érectile, est maintenant reconnue (2).
Une DE doit être dépistée chez tous les hypertendus. La question que le clinicien doit se poser est : la DE est elle liée à l’hypertension, à son traitement ou à une autre cause ? En effet, 50% des sujets de plus de 65 ans sont hypertendus, et les thérapeutiques utilisées dans l’HTA? sont susceptibles d’engendrer ou d’aggraver une dysfonction érectile. De plus, les hypertendus étant à risque? de complications cardio-vasculaires (CV), la prise en charge de la DE doit être adaptée (3).
Le dépistage d’une dysfonction érectile est insuffisant. Comme ils hésitent à en parler, les patients souhaiteraient que leur médecin traitant aborde plus fréquemment le sujet.
Une DE chez un hypertendu devra être considérée par le clinicien comme un marqueur de risque CV, la DE précédant de quelques années la survenue d’une complication CV. Enfin, la prise en charge thérapeutique de la DE devra prendre en compte le niveau de pression artérielle du sujet et son niveau de risque CV (4-7).
Figure 1 : Associations entre facteurs de risque CV, dysfonction endothéliale, dysfonction érectile et complications cardio-vasculaires et rénales.
La question de la sexualité n’est pas toujours très facile à aborder en consultation. L’enjeu de l’importance du dépistage d’une DE chez les patients atteints d’affections chroniques est aujourd’hui bien établi, et il est tout à fait justifié d’aborder la question de la sexualité chez tous les hypertendus en consultation de médecine générale ou en consultation spécialisée. Le dépistage doit être systématique lors de la consultation d’annonce d’HTA et dans les 6 mois qui suivent l’introduction d’un nouvel antihypertenseur. Il doit ensuite être effectué :
Le dépistage d’une dysfonction érectile repose sur les échanges au cours de l’entretien clinique. Les auto-questionnaires comme l’IIEF 6 peuvent être utilisés en complément mais ne se substituent pas à l’interrogatoire. On peut aussi utiliser l’échelle visuelle de cotation de l’érection, validée en 2007. Il est essentiel d’utiliser des questions ouvertes. La première question doit être simple, non intrusive, posée de manière bienveillante, éventuellement complétée d’une seconde question en partant du dossier médical pour permettre au patient de prendre le temps de reformuler. Il est essentiel de consacrer un temps de l’entretien clinique au dépistage d’une dysfonction érectile. Mais, le moment du dépistage doit avoir lieu plutôt en milieu de consultation, quand une relation de confiance s’est établie.
Questionnaire IIEF6 : Chaque réponse réponse est cotée de 1 à 5 dans l’ordre.
Les questions qui permettent de dépister une DE peuvent être, selon le patient :
Les médecins doivent avoir une approche globale pour l’évaluation et le traitement de la DE, qui doit, si possible, comprendre un entretien avec la(le) partenaire. La motivation à rechercher un traitement est également dépendante du vécu de la dysfonction érectile au sein du couple. Le médecin doit déterminer l’attitude de la (du) partenaire (pro-active, motivée, démotivée, hostile).
Pour la prise en charge de la DE, les professionnels de la santé peuvent suivre la trame PLISSIT (Permission, Limited Information, Specific Suggestions, and Intensive Therapy). Elle permet de conceptualiser chacune des étapes séparément.
1) La première étape dans la résolution du problème, qui est du ressort de tous les praticiens est de donner au patient et à la (au) partenaire la possibilité d’aborder la question de la DE.
2) La seconde étape consiste à donner au patient quelques éléments d’informations sur le fonctionnement du pénis et la physiologie érectile. Donner aux patients et à leurs partenaires des brochures éducatives est également utile.
3) Cette information générale doit être complétée de suggestions spécifiques adaptées au cas du patient.
4) Enfin, en cas de dysfonction sexuelle complexe ou ancienne, une thérapie devra être mise en place. Elle est du ressort du sexologue.
Les cas simples sont définis par :
L’entretien clinique comprendra :
L’entretien clinique comprendra :
Comme chez tout hypertendu, le bilan comprendra :
Lorsque la chronologie est fortement évocatrice d’une DE liée à l’introduction d’un antihypertenseur et en l’absence de signes cliniques en faveur d’un hypogonadisme, aucun bilan hormonal complémentaire n’est recommandé en première intention.
Le dosage de la testostérone totale ne doit être réalisé qu’en cas de suspicion clinique d’hypogonadisme par un spécialiste. Pour certains, il peut être prescrit systématiquement en cas de dysfonction érectile. En cas d’hypotestostéronémie, des explorations complémentaires doivent être réalisées par un médecin spécialiste. Les concentrations de testostérone présentent des variations diurnes et journalières significatives et peuvent être réduites par l’apport alimentaire ou le glucose. Par conséquent, il faut mesurer les concentrations de testostérone totales à jeun et à 2 reprises.
Le dosage de la prolactinémie n’est pas indiqué en première intention. Il peut être indiqué en cas de suspicion clinique d’hyperprolactinémie par un spécialiste. Le dosage de la DHEAS (dehydroepiandrosterone) n’est pas indiqué.
Le dosage de la TSH n’est pas recommandé en première intention dans ce cadre en l’absence de suspicion clinique d’hypo ou d’hyperthyroïdie.
Tableau de Princeton
L’effet des traitements antihypertenseurs sur la DE semble faible (6,7). Néanmoins, pour chaque patient, l’imputabilité intrinsèque doit établir un rapport chronologique entre la mise en place du traitement et l’installation de la DE. Un changement de classe de médicament antihypertenseur entraîne rarement la restauration de la fonction sexuelle. Néanmoins, si la restauration de la fonction érectile est obtenue après l’arrêt du traitement incriminé, cela laisse présumer de sa responsabilité.
Chez l’hypertendu sans facteur de risque CV, le bêtabloquant peut être arrêté avec les précautions habituelles pour une autre molécule (BCC?, IEC? ou ARA2?) sans avis cardiologique préalable. Dans le cas contraire, un avis cardiologique est recommandé. L’arrêt d’un diurétique et son remplacement par un antihypertenseur d’une autre classe pose moins de problèmes que celui des bêtabloquants et l’avis cardiologique ou néphrologique n’est pas indispensable en cas d’hypertension non compliquée. Les médicaments antihypertenseurs interférant le moins avec la fonction érectile doivent être privilégiés. Les antihypertenseurs les plus récents (IEC, ARA2, BCC, bêtabloqueurs vasodilatateurs) ont des effets neutres voire bénéfiques sur la fonction érectile.
De nombreux patients ont tendance à arrêter leur traitement antihypertenseur, sans en référer à leur médecin, dès les premiers signes de difficultés d’érection et une DE pourrait diminuer l’observance vis-à-vis des traitements antihypertenseurs.
Il est important que les hypertendus souffrant de DE puissent discuter avec leur médecin de l’approche thérapeutique qui leur convient le mieux, car plusieurs options différentes s’offrent à l’homme qui a une dysfonction érectile.
Dans les cas simples, la prescription d’inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (sildénafil, tadalafil, avanafil et vardénafil) associée des conseils d’utilisation et psychologiques est efficace et bien tolérée chez les hypertendus (9-11).
La coadministration d’inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 et de dérivés nitrés est interdite (respecter 24h après la dernière prise pour le sildenafil, le vardenafil et l’avanafil, et 48 heures pour le tadanafil). Eviter la coadministration d’IPDE5 en cas de traitement alpha-bloqueurs (sauf alpha-bloquants uro-sélectifs).
Les alternatives thérapeutiques sont l’alprostadil par intra-urétrale ou intra-caverneuse qui seront proposés dans les situations suivantes :
Dans les rares cas de dysfonction érectile réfractaire aux traitements pharmacologiques, la chirurgie de mise en place d’un implant pénien peut également être envisagée.
Pour répondre aux besoins des patients souffrant de troubles sexuels, la pharmacie doit permettre un dialogue confidentiel et discret dans le cadre d’entretiens pharmaceutiques. Le(la) pharmacien(ne) participe à l’éducation du patient. Il(elle) doit informer les patients sur les risques de l’automédication notamment en ce qui concerne les achats de médicaments par Internet. Le(la) pharmacien(ne) doit rechercher une iatrogénie qui participerait à la DE. De nombreux médicaments sont responsables d’une DE comme certains antihypertenseurs, certains hypocholestérolémiants, les opiacés, certains antirétroviraux, certains antiulcéreux (cimétidine, ranitidine, mais aussi les IPP), certains neuroleptiques, certains antidépresseurs, certains anxiolytiques et certains antiparkinsonniens. Il conviendra au pharmacien(ne) de mettre en avant la survenue possible d’une dysfonction sexuelle lors d’une première délivrance d’un de ces médicaments, mais aussi de s’inquiéter de la bonne tolérance lors d’un renouvellement de ces traitements. Il(elle) vérifie les doses des médicaments prescrits, les interactions possibles, et conseille les horaires de prise des médicaments. Il informe le patient des effets secondaires des IPDE5. Le(la) pharmacien(ne) doit participer à l’apprentissage auprès du patient des injections intracaverneuses d’alprotadil et l’informer des effets secondaires.
Le problème de l’observance pour le traitement antihypertenseur se pose si le patient décide d’interrompre son traitement suite à l’apparition d’une dysfonction sexuelle.
Les cas compliqués sont définis par :
Leur prise en charge doit être multidisciplinaire incluant le médecin traitant, un spécialiste (sexologue, urologue, endocrinologue), un cardiologue, le(la) pharmacien(ne) et en fonction des cas un(e) infirmier(e).
Pour les cas complexes, l’examen clinique et le bilan à réaliser sont identiques à ceux effectués pour la prise en charge des cas simples.
Les insuffisants cardiaques classés NYHA classe III sont considérés à risque intermédiaire. Les patients ayant un angor stable modéré ou ayant fait un IDM? il y a plus de 6 à 8 semaines sont également considérés à risque intermédiaire. Le consensus de Princeton préconise une recherche d’ischémie myocardique notamment à l’effort chez les patients dits à risque intermédiaire ou élevé. Les examens cardiologiques à entreprendre avant prescription d’un IPDE5 sont dans le tableau de Princeton ci-dessus.
Le choix repose sur les mêmes critères que dans les cas simples. Les médicaments cardio-vasculaires (antihypertenseurs, hypolipémiants) interférant le moins avec la fonction érectile doivent être privilégiés. Chez le coronarien avéré ou potentiel, la décision de changement du traitement à visée cardiologique n’est envisageable qu’après une évaluation cardiovasculaire par un cardiologue.
Le choix entre les IPDE5 et l’alprotadil par voie locale ou intracarverneuse repose sur les mêmes critères que dans les cas simples.
L’alprostadil par voie intra-caverneuse devra être utilisé avec prudence en cas d’antécédents d’accident ischémique transitoire ou en cas de troubles cardiovasculaires instables et chez les patients présentant des facteurs de risque d’accidents vasculaires cérébraux.
Si alprostadil est destiné à des patients présentant une altération de la coagulation, un désordre de la fonction thrombocytaire, ou traités par un médicament anticoagulant, anti-plaquettaire ou thrombolytique, le médecin devra soigneusement éduquer son patient sur les risques encourus et lui conseiller de comprimer le point d’injection avec un coton pendant une période suffisamment longue après l’injection intra-caverneuse. Les paramètres de coagulation doivent être surveillés attentivement.
La pose d’un défibrillateur chez certains hypertendus peut être une cause anxiogène de reprise d’activité sexuelle par le patient, le couple. Le risque de choc électrique pendant l’acte sexuel est très faible car l’acte sexuel n’entraine qu’un stress myocardique modéré. Le risque de choc électrique pendant l’acte sexuel est identique à celui du patient ayant une activité physique usuelle modérée. Une information doit être donnée au patent et au couple dans ce sens.
Après une sternotomie pour pontage, il faut attendre 6 à 8 semaines après une rééducation CV avant de prescrire une thérapeutique contre la dysfonction érectile.
Synthèse : Algorithme de chemin clinique chez un sujet hypertendu
Les traitements antihypertenseurs sont rarement responsables d’une dysfonction érectile mais ils peuvent l’aggraver. Néanmoins, il faut privilégier les thérapeutiques antihypertensives qui sont neutres ou même favorables commes les bétabloqueurs vasodilatateurs, les bloqueurs du système rénine angiotensine et les inhibiteurs calciques.
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