La prise en charge de l’hypertension artérielle se fonde sur deux axes importants : d’une part l’adaptation du style de vie et d’autre part la prescription de médicaments antihypertenseurs à long terme.
Toutes les recommandations nationales et internationales reconnaissent que tous les traitements prescrits par les médecins pour abaisser la pression artérielle ne seront vraiment efficaces que si les patients adhèrent à leur traitement médicamenteux et aux prescriptions d’hygiène de vie (1).
L’observance thérapeutique joue donc un rôle clé dans le traitement des patients hypertendus et il est important de la soutenir. En effet, l’adhérence aux traitements médicaments des maladies cardiovasculaires est en général assez basse puisqu’environ 50% des patients prennent toujours leurs médicaments une année après leur début, comme l’indique une méta-analyse? récente (2). En outre, l’observance thérapeutique est plus faible en prévention primaire qu’en prévention secondaire (2).
La taxonomie utilisée pour définir les différents aspects de l’observance médicamenteuse a été redéfinie récemment (3). La compliance est la qualité d’exécution du traitement prescrit. Elle exprime la correspondance entre la prescription et l’historique de la prise médicamenteuse au jour le jour. La persistance est le temps et la durée écoulés entre le début de la prescription et la fin de la prescription, alors que l’adhérence comprend l’acceptation, l’exécution et l’interruption du traitement. Une mauvaise adhérence signale un problème avec le traitement médicamenteux : non accepté, mal suivi ou arrêté prématurément.
Figure 1 : Définition de l’observance
Comme indiqué dans les figures 2 et 3, le problème le plus fréquent rencontré dans la prise en charge des patients hypertendus est la persistance du traitement qui tend à diminuer rapidement avec le temps, pour atteindre environ 50% à 1 an, comme rapporté récemment dans une grande analyse d’études effectuées dans l’hypertension artérielle avec des moniteurs électroniques de l’observance (4) et schématisé dans la Figure 3. Il ressort de ce graphique que le problème principal aujourd’hui est la mauvaise persistance du traitement et dans une moindre mesure les problèmes de compliance au jour le jour.
Dans les grandes études, on estime que 70% des patients hypertendus ont une bonne adhérence et prennent plus de 70% de leurs comprimés de manière adéquate. Environ 20% des patients ont une adhérence partielle (50-70% de médicaments pris) et 10% sont vraiment peu adhérents. La plupart du temps, la non-adhérence n’est pas intentionnelle et consiste en oublis occasionnels. Comme indiqué dans la figure 4, les patients sont exposés à de nombreux obstacles durant leur trajet de patients hypertendus, obstacles qui limitent leur adhérence au traitement, comme indiqué dans la Figure 4.
Les freins à la bonne prise médicamenteuse sont nombreux : effets secondaires, mauvaise connaissance de la maladie, croyances, manque d’efficacité, craintes, complexité des traitements, coûts etc.
Figure 2 : Les problèmes d’adhérence sont caractérisés par deux problèmes essentiels
Figure 3 : Tendance de l’observance thérapeutique dans l’hypertension artérielle
Figure 4 : Barrières séquentielles à la persistance d’un traitement antihypertenseur
Il existe de nombreuses approches pour estimer l’observance thérapeutique d’un patient hypertendu mais peu d’entre elles sont véritablement précises (Figure 5 et 6). Les plus utilisées dans les études cliniques sont les questionnaires, le comptage des comprimés, le suivi du renouvellement des ordonnances et les cahiers journaliers. Cependant ces méthodes tendent à surévaluer l’observance médicamenteuse. La seule technique précise est l’observation directe ou DOT, utilisée uniquement dans certaines pathologies comme la tuberculose en raison de son coût élevé en personnel. Le dosage des médicaments dans le sang ou les urines peut parfois être utile mais cette approche ne donne des informations que sur l’adhérence récente aux traitements.
Figure 5 : Méthodes de mesure de l’adhérence
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Figure 6 : Précision des méthodes de mesure de l’observance thérapeutique
Une méthode de plus en plus répandue est l’utilisation de piluliers électroniques qui enregistrent la date et l’heure de chaque ouverture du pilulier et donnent ainsi des informations dynamiques sur la prise médicamenteuse, même si cette méthode n’assure pas la prise correcte du médicament (Figure 7). Cette méthode est considérée aujourd’hui comme la méthode la plus adéquate qui peut être utilisée en clinique.
Figure 7 : Exemples de système électronique de suivi de l’observance thérapeutique
Malheureusement, son développement en clinique reste lent en raison essentiellement de son coût (5). Néanmoins, cette technique de mesure nous a permis de découvrir de nombreux aspects inattendus de l’observance thérapeutique chez les patients hypertendus. Le premier est la fréquence des oublis et des « vacances thérapeutiques » ou drug holydays qui consistent en des interruptions du traitement pendant 2-4 jours de suite et particulièrement durant les weekends. Le deuxième est le phénomène de l’effet blouse blanche sur l’adhérence. En effet, l’adhérence augmente significativement juste avant et après les consultations médicales. Ce phénomène fréquent explique l’imprécision des questionnaires et des dosages sanguins ou urinaires qui se focalisent souvent sur l’adhérence récente. Ces deux phénomènes sont illustrés dans les figures 8 à 10. L’observation principale faite avec ces suivis est que l’observance thérapeutique est une caractéristique dynamique du patient qui varie énormément dans le temps, en fonction de son environnement et de ses activités.
Figure 8 : Suivi à long-terme de l’adhérence d’un patient hypertendu
Figure 9 : Exemple d’observance thérapeutique partielle avec vacances thérapeutiques et arrêt prématuré (non-persistence)
Figure 10 : Effet blouse blanche de l’observance thérapeutique chez des patients hypertendus traités avec un diurétique
La problématique de l’observance thérapeutique se pose essentiellement lorsque la prescription médicale ne produit pas l’effet antihypertenseur escompté. En effet, si le patient normalise sa pression sous traitement, la question ne se pose pas. En revanche, si le patient demeure hypertendu, deux questions se posent :
Figure 11 : Impact clinique d’un monitoring de l’observance thérapeutique dans l’hypertension artérielle résistante
Plusieurs études ont démontré l’impact positif d’une bonne adhérence médicamenteuse sur le risque de mortalité cardiovasculaire des patients traités pour une pathologie cardiovasculaire. Ce fait a été résumé dans une méta-analyse récente de l’impact de l’observance sur la mortalité des patients à travers les pathologies (11). Il ressort de cette analyse que les patients observants ont une meilleure survie, pour autant que le médicament qui leur est prescrit est efficace (figure 12). En effet, une bonne adhérence à un médicament dangereux augmente la mortalité (figure 13).
Figure 12 : Adhérence thérapeutique et mortalité : une méta-analyse à travers les maladies
Figure 13 : Adhérence thérapeutique et mortalité : une méta-analyse à travers les maladies
Cette analyse relève avec intérêt que le fait même d’être observant à son traitement est associé à une meilleure survie, même si le sujet reçoit un placebo, comme cela a été observé dans l’étude CHARM qui a comparé l’effet du candesartan ou d’un placebo chez des patients insuffisants cardiaques (figure 14) (12). Dans cette étude, la bonne observance au placebo augmentait la survie, aussi bien qu’une bonne observance au candesartan, ce qui suggère que les sujets qui ont une bonne observance thérapeutique aux médicaments suivent également toutes les recommandations de style de vie, ce qui a un impact favorable sur leur survie.
Figure 14 : La bonne adhérence est une attitude personnelle face à l’ensemble des problèmes de santé et aux stratégies de prévention !
L’amélioration des problèmes d’observance thérapeutique passe par plusieurs étapes indispensables : la première est la détection suivie par la prévention et l’intervention et le maintien à long-terme. L’élément clé de la détection est de parler de l’observance avec son patient, pour le sensibiliser au problème et insister sur son importance. Il est utile de se focaliser sur les patients dont la pression artérielle est mal contrôlée. Autant que faire se peut, il faudrait mesurer l’observance de manière à obtenir des faits lorsque l’on suspecte une mauvaise observance. Un accent particulier peut être mis sur les patients qui ratent souvent leurs consultations et ne renouvellent pas leurs ordonnances.
Pour prévenir les problèmes d’observance, de nombreuses stratégies ont été proposées, dont l’éducation des patients et des soignants, l’utilisation de systèmes de rappel (téléphone, messages…), en sachant que chacune des approches n’augmente que modestement l’observance individuellement (13) (Figures 15-19). Une bonne approche consiste à simplifier au maximum les schémas de traitement par ex. en utilisant les combinaisons fixes de médicaments. Il faut donner des instructions claires, simples et précises, avec des rendez-vous fréquents aussi longtemps que la pression n’est pas bien maîtrisée. L’important est de motiver le patient et d’obtenir sa collaboration (par ex avec la mesure de la pression à domicile) ou celle de son entourage.
Par la suite, il est important de superviser le traitement et de donner un feedback positif aux patients, lorsque les valeurs de pression artérielle s’améliorent. Parmi les clés qui peuvent être proposées aux patients, on notera :
— le couplage de la prise médicamenteuse avec des activités quotidiennes,
— l’utilisation de médicaments en réserve sur le lieu de travail,
— l’utilisation de semainier.
Dans ce contexte, la collaboration avec d’autres partenaires de santé comme les pharmaciens peut s’avérer très profitable (14).
Figure 15 : Stratégies pour améliorer l’observance thérapeutique dans l’hypertension : approches des prestataires de soins (15)
Figure 16 : Stratégies pour améliorer l’observance thérapeutique dans l’hypertension : l’éducation du patient (15)
Figure 17 : Aucune Stratégie n’est vraiment supérieure (16)
Figure 18 : Stratégies pour améliorer l’observance thérapeutique dans l’hypertension : approches comportementales (15)
Figure 19 : Stratégies pour améliorer l’observance thérapeutique dans l’hypertension : approches affectives
L’observance thérapeutique est un élément essentiel de la prise en charge des patients hypertendus. Cet aspect est souvent sous-estimé dans la clinique et peu discuté, essentiellement par manque de connaissance mais aussi parce que nous manquons d’outils de mesure précis et de moyens en personnel pour soutenir les patients dans leurs efforts. En l’absence de développement de nouveaux médicaments antihypertenseurs, améliorer la prise des substances à disposition aujourd’hui constitue probablement l’approche la plus coût/efficace.
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3. Vrijens B, De Geest S, Hughes DA?, Przemyslaw K, Demonceau J, Ruppar T, Dobbels F, Fargher E, Morrison V, Lewek P, Matyjaszczyk M, Mshelia C, Clyne W, Aronson JK, Urquhart J ; ABC Project Team. A new taxonomy for describing and defining adherence to medications. Br J Clin Pharmacol. 2012 ;73:691-705 22486599
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14. Santschi V, Chiolero A, Burnand B, Colosimo AL, Paradis G. Impact of pharmacist care in the management of cardiovascular disease risk factors : a systematic review and meta-analysis of randomized trials. Arch Intern Med. 2011 ;171:1441-1453 21911628
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16. Peterson AM et al. Am J Health Syst Pharm 2003 ;60:657-65 12701547